“La Première marche” : rencontre avec les réalisateurs Baptiste Etchegaray et Hakim Atoui

C’est l’histoire un peu folle de quatre étudiants qui décident d’organiser une Marche des Fiertés là où ça semble impossible : dans une ville de banlieue, Saint-Denis. En juin 2019, Youssef, Yanis, Annabelle et Luca réussissent pourtant haut la main leur pari en réunissant plus de 1000 personnes. Premier documentaire de Baptiste Etchegaray et Hakim Atoui, “La Première marche” nous fait suivre les quatre mois intenses qui vont conduire à ce succès inattendu. Didier Roth-Bettoni s’est entretenu avec les réalisateurs.

Publié le

Projection en ligne le mardi 19 janvier à 20h30, sur La 25e heure, la salle de cinéma virtuelle. La séance sera suivie d’un débat en direct avec les réalisateurs. Toutes les infos ici

La principale qualité de votre film, pour moi, c’est qu’il est enthousiasmant : en filmant l’enthousiasme, la volonté qui ne faiblit jamais des quatre étudiants à l’origine de cette marche en banlieue, vous le faites partager. J’ai eu un peu le même sentiment que face à 120 battements par minute : vous faites ressentir la puissance du collectif, du groupe. C’est une dimension que vous vouliez souligner ?

Merci pour ce commentaire qui nous fait chaud au cœur ! Oui c’est exactement ce qu’on voulait montrer. La première marche des fiertés en banlieue c’est un sujet fort en soi mais ça ne suffit pas. Il fallait qu’il soit incarné par des personnages, une bande d’ami.e.s, un collectif qui a du souffle et de l’envie à défaut d’avoir des structures et des moyens. Pour nous, c’est autant un film sur le militantisme que sur la jeunesse et l’amitié. Tout est lié chez eux et c’est sans doute ce qui emporte le spectateur. On ne sait plus s’ils sont amis parce qu’ils organisent la Marche ou s’ils organisent la Marche parce qu’ils sont amis. Peut-être n’en ont-ils pas conscience, mais ils sont une sorte de lointains cousins, ou de descendants, des militants d’Act Up des années 1990 avec cette radicalité, cet humour acide, cette même volonté de faire du bruit là où on ne les entend pas.

realisateurs la première marche
Baptiste Etchegaray et Hakim Atoui

Quand vous vous êtes lancés dans ce tournage, au tout début de ce processus un peu fou, vous y croyiez vraiment ? Vous pensiez qu’ils réussiraient, vous imaginiez le succès populaire qu’a rencontré la marche ?

Au tout tout début, on n’en était pas sûrs. On avait même envisagé de faire un documentaire à suspens sur le mode “la marche aura-t-elle lieu ?”. Et puis très vite on s’est rendu compte que ce ressort narratif était un “gadget” car il est devenu évident que la marche aurait lieu : ils y croyaient tellement fort, cette question ne se posait plus. La question, c’était plutôt combien ils seraient à la fin dans la rue. C’était impossible de le deviner. Honnêtement, on ne s’attendait pas à ce qu’ils remplissent la rue de la République, la longue artère commerçante de la ville qui relie la Basilique au Théâtre Gérard-Philipe, deux institutions !

Les quatre organisateurs de la marche insistent beaucoup sur la dimension intersectionnelle de leur démarche. Cette double ou triple discrimination cumulée (être LGBTQI, être banlieusard, être racisé, etc.), c’est quelque chose dont vous aviez conscience avant le tournage ou dont vous avez découvert la force au fil du travail sur le film ?

C’est un peu comme ce qu’on disait sur la ville : on s’est laissé captiver par ce sujet qui était central pour eux et que nous n’avions pas tant que ça anticipé. Sans l’avoir vraiment exprimé entre nous, on s’attendait sans doute à entendre des témoignages accablants de jeunes LGBT+ de banlieue et on s’est retrouvé face à des jeunes archi combatifs, très politisés, qui voulaient d’abord faire bouger leur ville et son image, qui voulaient raconter ce qui est spécifique à être LGBT+ de banlieue, et à quel point ils peuvent se sentir loin des lieux de socialisation LGBT+ du centre de Paris. C’est le plaisir et le “luxe” du documentaire : prendre le temps de se laisser happer par ce qu’on rencontre et non pas venir chercher ce qu’on avait imaginé. 

Est-ce que vous diriez que La Première marche est un film contre les stéréotypes ?

Oui, un peu comme le dit la tante de Yanis qui exprime son immense joie de voir cette marche briser “tous les clichés” sur la ville où elle vit depuis toujours. Personne ne dit qu’il n’y a pas d’homophobie là-bas comme ailleurs, ce serait idiot. Mais si pendant 1h10 le spectateur peut apercevoir autre chose de la Seine-Saint-Denis que les faits de violence rapportés en continu sur les chaînes d’infos, s’il peut palper une énergie créatrice, une jeunesse pas résignée, prête à s’engager, à s’assumer, à s’amuser, alors oui on aura réussi à franchir nous aussi une (petite) première marche.

La Première marche, de Baptiste Etchegaray et Hakim Atoui.
Sortie en salle le 14 octobre 2020 (Outplay)

Tu en veux encore ?