Keith Haring : pourquoi on aime toujours autant cet artiste gay, pop et engagé
Mugs, t-shirts, bijoux⊠trente ans aprĂšs la disparition de lâartiste phare des eighties, lâart joyeux et bourrĂ© dâĂ©nergie de Keith Haring est partout autour de nous. Mais cet art nĂ© de la rue sâexpose aussi dans les plus grandes institutions Ă travers le monde, comme au Bozar de Bruxelles jusquâĂ fin avril. Une bonne occasion de faire un saut chez nos amis belges pour plonger dans lâunivers foisonnant, colorĂ© et engagĂ© dâun crĂ©ateur trĂšs trĂšs gay.
La joie de vivre
Câest dans un des lieux underground mythiques de la nuit new-yorkaise du dĂ©but des annĂ©es 1980, ce trĂšs queer Club 57 frĂ©quentĂ© par des dĂ©butants comme Madonna, Klaus Nomi, Jean-Michel Basquiat ou Cindy Lauper, que Keith Haring crĂ©e ce qui demeure peut-ĂȘtre lâimage iconique de son travail, la plus connue et la plus reproduite : le Radiant baby.
Ce pictogramme dâun bĂ©bĂ© entourĂ© de rayons symbolisant lâinnocence, la joie, lâĂ©nergie et la foi en lâavenir, illustre Ă la perfection lâart de Haring, cet art du dessin nourri des formes de crĂ©ation ultra populaires que sont le cartoon ou le hip hop. âJe voulais me dissocier du graffiti Ă cette pĂ©riode, racontera-t-il, et il y avait cette Ă©nergie brute incroyable qui flottait dans lâair Ă New York : ça sâappelait le hip-hop, qui englobait le scratch, les DJâs, les danseurs et le graff, parce que le graffiti Ă©tait lâĂ©quivalent visuel de la musique. Les danseurs avaient ce truc quâils appelaient âelectric boogieâ, qui consistait Ă faire des mouvements comme si on transportait une pulsation Ă©lectrique quâon passait de personne en personne, dans un geste fluide. Jâai commencĂ© Ă incorporer tout ça dans les images que je dessinais. Le breakdance Ă©tait une inspiration majeure, ces kids qui tournaient sur la tĂȘte, je les ai retranscrits dans mes dessins.â
Le mouvement est ainsi un motif central dans les crĂ©ations de Haring, qui sâen imprĂšgne en frĂ©quentant tous les samedis soirs un autre club de lĂ©gende, le Paradis Garage, oĂč se retrouvent gays, noirs, latinos, queers⊠Haring y rĂ©alise plusieurs performances, dont une avec Grace Jones, dont il a entiĂšrement peint le corps.
Untitled, 1980
© Keith Haring Foundation
Lâart dans la rue
Mais il nây a pas que lâĂ©nergie de la nuit qui inspire Keith Haring. Il y a aussi lâĂ©nergie vitale et sexuelle de la ville, quâil envahit de ses images et de ses dessins au trait aussi simple que direct. Les petits personnages frĂ©nĂ©tiques et immĂ©diatement identifiables du tout jeune homme de 20 ans (il est nĂ© en 1958) prolifĂšrent dans les couloirs du mĂ©tro new-yorkais, sur les espaces publicitaires dĂ©laissĂ©s, sur les murs de lâEast Village. Il est alors un inconnu : la cĂ©lĂ©britĂ© le rattrape dĂšs 1982, et sa cote ne va cesser de monter en mĂȘme temps que les plus grandes galeries exposent ses toiles. Jamais il nâabandonnera cet street art qui rend son Ćuvre accessible Ă tous, crĂ©ant de grandes fresques urbaines Ă travers le monde, de Philadelphie Ă Amsterdam, de Pise Ă Berlin, oĂč il peint sur une partie du Mur.
Untitled, 1984
© Keith Haring Foundation
Sex is life⊠and death
Si les dessins de Keith Haring peuvent paraĂźtre naĂŻfs et innocents Ă qui les regarde superficiellement, force est de constater que la sexualitĂ©, et lâhomosexualitĂ© essentiellement, y est omniprĂ©sente, sous des formes multiples : bites Ă©normes, couples faisant lâamour, voire orgies, comme dans Once upon a time, la fresque monumentale quâil peint dans la salle de bains du Centre communautaire LGBT de Manhattan. Echo de sa propre vie sexuelle dĂ©bridĂ©e, ces images trĂšs hot renvoient aussi Ă cette phrase de Haring : âL’Ă©nergie sexuelle est peut-ĂȘtre l’impulsion la plus forte que j’aie Âjamais ressentie – plus que l’art ? (!)â.
Ignorance = Fear, 1989
© Keith Haring Foundation / Collection Noirmontartproduction, Paris
Pourtant, trĂšs vite, le sida qui dĂ©cime alors la communautĂ© gay dans lâindiffĂ©rence gĂ©nĂ©rale se met Ă hanter les Ćuvres de Haring, plus encore lorsquâil apprend sa sĂ©ropositivitĂ© en 1988. Lui qui, depuis ses dĂ©buts, a fait de ses crĂ©ations une maniĂšre de sâengager pour de multiples causes (lâĂ©cologie, la dĂ©nonciation de lâApartheid, du racisme, du nuclĂ©aire, des mĂ©dias dominants ou de lâhomophobieâŠ), se lance dans la lutte contre la maladie, crĂ©ant une Fondation pour cela, et faisant apparaĂźtre le sida dans plusieurs de ses Ćuvres, que ce soit la gigantesque fresque quâil peint Ă Barcelone (Todos juntos podemos parar el sida) ou United (Aids), grand tableau montrant un malade du sida aux allures monstrueuses, portant une croix rouge, comme un pestifĂ©rĂ©. A 31 ans, le 16 fĂ©vrier 1990, Keith Haring perd, comme tant dâautres Ă lâĂ©poque, son combat contre la maladie.
A Bruxelles⊠et à Paris aussi
La rĂ©trospective bruxelloise propose de reparcourir cette Ćuvre riche, emblĂ©matique dâune Ă©poque, mais universelle. Pourtant, pour ceux qui ne pourraient se rendre dans la capitale belge, trois lieux parisiens permettent dâhonorer la mĂ©moire de Keith Haring. Si la petite place qui porte son nom depuis 2018 dans le XIIIĂš arrondissement est un peu terne pour un artiste si exubĂ©rant, la magnifique fresque quâil a rĂ©alisĂ©e sur une tour situĂ©e au cĆur de lâHĂŽpital Necker a Ă©tĂ© restaurĂ©e en 2017. Quant lâĂ©glise Saint-Eustache, elle renferme La Vie du Christ, trĂšs beau triptyque en bronze recouvert dâor blanc au centre duquel on retrouve le bĂ©bĂ© rayonnantâŠ