On a rencontré Kodo, le moine bouddhiste queer qui aime les talons et les paillettes

Il a maquillĂ© les plus grandes stars et cumule un mĂ©tier glam avec sa vocation de moine ! Kodo Nishimura, qui a participĂ© Ă  “Queer Eye: We’re in Japan” diffusĂ©e sur Netflix, publie son autobiographie intitulĂ©e « Le moine en talons aiguilles-Oser ĂȘtre soi Â» (Editions TrĂ©daniel). Son objectif ? S’adresser Ă  tous ceux qui n’ont pas le sentiment d’ĂȘtre Ă  leur place. Plus que zen que zen, il rĂ©pond aux questions de Jock.life sur tous les sujets, sans tabou. Une incroyable leçon de vie en mode « peace, love & self-esteem Â».

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En France, les jeunes LGBTQI parlent de plus en plus de harcèlement scolaire. Ce que vous avez vécu au Japon, c’était ça ? 

J’ai été victime de discrimination à l’école, je me suis senti exclu. On s’est moqué de moi parce que j’étais différent de ce que les autres attendent des hommes, biologiquement parlant. Si j’avais menti jusqu’au bout, j’aurais pu prétendre que j’aimais ce que les autres aimaient, comme les émissions comiques à la télé, où l’on moquait des gens différents. Mais j’ai décidé que je préférais être seul plutôt que de me conformer à quelque chose que je n’approuvais pas.

Quand j’ai eu 18 ans, j’ai déménagé aux États-Unis, où j’ai rencontré des gens ouverts sur leur sexualité dans sa diversité. Quand j’ai pu trouver des amis avec qui je pouvais en parler ouvertement et me connecter à eux avec le cœur, je me suis finalement senti libéré.

Au Japon, mon univers se limitait à Tokyo. Les gens pensent que les hommes et les femmes devraient agir d’une certaine manière, mais j’ai appris qu’il y a beaucoup de personnes qui n’entrent pas dans ces catégories, c’est très bien comme ça. J’ai entendu parler du PDG d’Apple, Tim Cook, ouvertement gay. J’ai senti que je pouvais réussir. Quand j’ai fait mon coming-out auprès de mes parents à 24 ans, je suis devenu totalement libre, léger, je pouvais presque voler. Je veux partager cette joie avec d’autres personnes et j’espère que mon histoire les inspirera.

Kodo Nishimura moine lgbt
(c) Masaki Sato

Vous expliquez que dans votre école de design, aux États-Unis, vous avez pu rencontrer des personnes ouvertes et sans jugement. Conseilleriez-vous aux jeunes de faire des études ?

J’ai eu la chance d’aller dans une école où chacun s’exprimait de manière créative, c’était une école d’art à New York, l’un des meilleurs environnements pour ça. Quand vous me demandez si les jeunes devraient aller à l’école, je ne peux pas dire oui dans tous les cas, car chaque école a ses propres caractéristiques et une dynamique différente. Parfois, rester à la maison peut être une meilleure option.

En même temps, l’école est un endroit où l’on apprend plus que ce qu’ils enseignent dans les manuels. Nous apprenons les luttes, à surmonter les obstacles et à découvrir qui nous sommes. Si vous ne vous adaptez pas à votre école, changer d’environnement peut vraiment ouvrir des portes, cela peut être un défi difficile, mais ce courage de sortir de votre zone de confort est la clé pour changer votre vie. 

Vous évoquez votre attirance pour les hommes et vous expliquez longuement votre refus des catégories, tout en disant appartenir à la communauté LGBTQI. Diriez-vous que les catégories nous limitent ?

Oui, les catégories peuvent nous limiter, mais c’est une option confortable et facile pour beaucoup de gens. Quand je dis que je ne rentre pas dans les catégories LGBTQ+, c’est parce qu’il n’y a pas une seule catégorie qui me représente. Je sais que mon corps est masculin, mais je ne pense pas que mon âme soit masculine ou féminine, ou à la fois masculine et féminine. J’aime dire que je suis “doué pour le genre”, au-delà des catégories. Je suis capable de sympathiser avec de nombreuses personnes et d’en inspirer d’autres pour penser au-delà des catégories. Mon âme n’a pas de genre, je suis simplement Kodo. C’est peut-être la même chose pour beaucoup d’autres personnes. Cependant, certaines personnes se sentent à l’aise avec la catégorisation, je n’ai aucune objection à cela. Après tout, chaque personne devrait définir qui elle est elle-même.

 Kodo Nishimura
(c) Derek Makishir

Vous citez à la fois Ángela Ponce, une femme transgenre, élue Miss Espagne qui a été simple et solidaire lorsque vous l’avez maquillée, et RuPaul qui vous a expliqué comment méditer. S’agit-il des deux personnalités les plus marquantes, parmi celles que vous avez rencontrées ?

Une autre de mes personnes préférées est Carson Kressley, présent dans le casting original de Queer Eye for the Straight Guy également jury de RuPaul’s Drag Race. Quand j’étais adolescent, toutes les personnes LGBTQ+ dans les médias étaient dépeintes comme effrayantes et diaboliques. Alors quand j’ai vu Carson dans cette émission, je me suis dit que l’on pouvait être LGBTQ +, réussir et être célébré, être fier de sa sexualité. 

Vous étudiez les préceptes bouddhiques, et vous conseillez à vos lecteurs de ne pas se comparer. Dans un monde où les selfies sont rois, que diriez-vous à nos lecteurs qui ont de complexes ? 

Il est facile d’être hypnotisé par la beauté physique ou les chiffres, mais nous devons nous concentrer sur la beauté de nos âmes. Les perspectives, la renommée, le statut, le nombre de followers sont des choses que l’on peut comparer mais que l’on peut perdre. Mais se fixer comme intention d’être poli, travailleur, compatissant, ça, ça ne se compare pas : ce sont des qualités que chacun peut essayer d’avoir. J’aime être une personne qui valorise ces qualités plus que tout. Si je me concentre sur mes bonnes intentions, je peux toujours trouver de quoi être fier de moi aussi et me pardonner mes complexes et mes imperfections. Pour ça, je choisis de m’entourer de personnes qui valorisent les mêmes qualités. Cependant, s’aimer soi-même, c’est un éternel défi ! 

Kodo Nishimura moine lgbt
(c) Masaki Sato

Votre livre est rempli de conseils mais vous donnez également des exercices et même des jeux pour augmenter l’estime de soi. Diriez-vous que c’est un travail d’empowerment, pour retrouver son autonomie sans se dévaloriser ?

Gagner l’estime de soi et la confiance en soi peut être difficile. Je pense qu’il est important de travailler ce sujet, avec nos amis et nos proches, pour s’aider mutuellement à s’aimer davantage. “Compliment battle” est un jeu auquel j’aime jouer. C’est un jeu où vous exprimez 10 bonnes choses au sujet de quelqu’un. Par exemple, j’aime la forme de vos yeux ou votre gentillesse, etc. Lorsque vous apprenez comment les autres vous voient, vous pouvez en savoir plus sur qui vous êtes. En japonais, la confiance s’écrit comme “la confiance en soi”. Alors même si vous n’aimez pas tout ce que vous êtes, bien vous connaître vous mettra en confiance. 

Étonnamment, vous parlez de votre parcours de vie, mais très peu de votre vie amoureuse. Diriez-vous que vous êtes heureux en amour ?

Je suis très heureux en amour. J’avais l’habitude de penser que je devais être beau et avoir du succès pour être aimé, mais j’ai appris que je pouvais être aimé pour ce que j’étais. Je suis loin d’être parfait, par exemple, j’ai de l’eczéma, je ne vais pas toujours à la gym, je ne suis pas bon avec les chiffres, entre autres. Mais je suis fier de moi, je pense positivement et j’essaie de toujours faire de mon mieux. Les gens autour de moi m’aiment pour mon cœur, j’en suis heureux.

Kodo-Nishimura
Crédit : Derek Makishima

Dès l’instant où j’ai arrêté de juger les gens selon leur apparence ou leur statut, des gens qui appréciaient mon cœur sont apparus dans ma vie. Je souhaite bien sûr avoir belle allure et être malin, mais ça n’est pas le plus important. Tant que je suis capable d’aimer les autres pour ce qu’ils sont, ils feront la même chose avec moi.

Vous évoquez le traitement préventif du VIH, la PrEP, pour les séronégatifs. Pour un moine, c’est assez rare de parler de santé sexuelle, non ? 

Je n’ai jamais entendu d’autres moines parler de santé sexuelle auparavant. Dans le passé, le VIH était associé aux personnes LGBTQ+, ce qui a conduit à beaucoup de stigmatisation et de discrimination. Personnellement, je veux sensibiliser aux IST. Il est important d’être informé et d’être responsable de notre santé. Malheureusement, il existe encore des préjugés, on le voit avec la variole du singe. Il est de ma responsabilité d’en parler pour aider les gens en difficulté. Je veux amener les autres à se battre pour l’égalité, pour qu’ensemble, nous puissions atteindre le respect mutuel.

Kodo, Le moine en talons aiguilles – Oser être soi 
Tredaniel éditions

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