On a parlé des “Roseaux Sauvages”, de Catherine Deneuve et d’homophobie avec Gaël Morel
Cela fait vingt-sept ans que « Les Roseaux sauvages » ont révélé sa sensibilité à fleur de peau ! Gaël Morel a construit, depuis, une belle carrière de réalisateur que va célèbre le festival queer lyonnais Écrans Mixtes à partir du 23 juin. L’occasion de faire le point avec lui alors que son dernier documentaire, « Famille tu me hais », sort en DVD.
Ecrans Mixtes vous consacre une rétrospective où on pourra revoir tous vos films, À toute vitesse, Le Clan, Après lui… mais aussi vos premiers courts métrages tournés alors que vous aviez à peine vingt ans. Que ressentez-vous ?
Voir que son travail est un peu reconnu, ça donne de la joie. Ça permet aussi à mes films de continuer à exister. Tout disparaît très vite… il y a certains films qu’il a fallu rechercher, plusieurs n’ont pas été numérisés, etc. Ça me dit que je ne suis plus un si jeune cinéaste que ça même si je ne suis pas très vieux. En tout cas, c’est flatteur.
Avant ces films, on vous a découvert acteur dans Les Roseaux sauvages d’André Téchiné, en 1994, un film qui a marqué une génération de jeunes gays. Vous en aviez conscience ?
Quand j’ai fait Les Roseaux…, j’étais très timide, presque autiste, j’avais beaucoup de mal à être regardé, donc c’était très difficile pour moi d’imaginer que des gens puissent s’identifier à moi. De plus, j’étais en adoration devant Stéphane Rideau… Je crois que c’était ma relation avec lui qui était surtout un objet de fantasmes. J’ai pris un peu conscience de ce que je représentais quand, dans un bordel, un garçon est venu vers moi et m’a dit “Je suis déçu de te voir ici”…
Quel souvenir gardez-vous de ce film ?
Je l’associe à ma jeunesse, j’ai l’impression de revivre mon adolescence, je le revois comme un moment de fête. Je garde surtout le souvenir de l’espèce de béatitude, d’éblouissement que je ressentais d’être entré dans l’univers du cinéaste que j’admirais le plus, André Téchiné.
Ce qui frappe quand on revoit vos films, ce qui détonne vraiment par rapport à la plupart des autres cinéastes français, même gays, c’est la façon dont vous filmez les corps masculins, cette extrême homosensualité de votre cinéma, ne serait-ce que dans le choix de vos acteurs : Stéphane Rideau, Salim Kechiouche, Nicolas Cazalé, etc.
J’ai toujours voulu que l’érotisme soit présent dans mes films. On ne parle jamais de la beauté, de la sensualité des hommes, j’ai toujours trouvé cela étrange. Moi j’ai cette obsession d’érotiser ce qui était censé nous faire peur… À toute vitesse ou Le Clan sont vraiment dans cette idée.
Il y a un film très important dans votre filmographie, c’est Après lui, en 2007, parce que vous y faites tourner votre idole de toujours, Catherine Deneuve…
Deneuve, pour moi, c’est le début de tout : c’est elle que je découvre enfant en voyant Belle de Jour à la télévision. Je suis fasciné par cette femme qui était comme une fée traversant tout ce qui lui arrive dans ce film-fantasme auquel j’avais l’impression de tout comprendre, grâce à elle. Par la suite, c’est par elle que je découvre des noms de réalisateurs — François Truffaut, André Téchiné… — et que je comprends que c’est bien. Elle m’a ouvert au cinéma, moi qui étais très autodidacte. Quand je suis devenu réalisateur, je ne pouvais même pas imaginer que je ne tournerais pas avec elle. On a eu quelques rendez-vous manqués, j’avais écrit un scénario pour elle qu’elle a refusé. Quand j’ai écrit Après lui avec Christophe Honoré, c’est lui qui m’a dit “Eh bien tu l’as, ton film pour Catherine !”
Quand on a de telles attentes, il y a toujours le risque d’être déçu. Ça n’a pas été le cas…
C’est même le contraire d’une déception ! Je n’imaginais pas qu’elle soit autant dans cette humanité que j’aime, dans cette écoute… Ce qui m’a étonné, c’est son pragmatisme, sa technique, son investissement. Quand elle joue, elle impose presque qu’on la regarde, qu’on la dirige. Elle est comme une débutante : c’est sa force la plus incroyable. Sur le plateau, c’est une actrice qui refuse son statut. Si elle n’était pas une comédienne si exceptionnelle, ce qui fait sa carrière, c’est la personne qu’elle est. C’était un bonheur dingue pour moi de travailler avec elle. Moi qui ai si souvent eu ce syndrome de l’imposteur qu’on a quand on vient d’un milieu populaire, travailler avec Catherine Deneuve m’a affranchi de ça. J’avais l’assentiment de la personne qui comptait le plus pour moi !
Avec Famille tu me hais, l’an dernier, vous avez réalisé pour la première fois un documentaire, consacré à des jeunes gays et lesbiennes victimes d’homophobie dans leur milieu familial. Comment en êtes-vous venu à réaliser ce film très puissant à base de témoignages ?
J’ai commencé à y réfléchir il y a dix ans, lors d’un passage au Refuge où on m’avait proposé de parrainer un événement de cette association d’aide aux jeunes homos rejetés par leur famille. Je savais que cela existait avant bien sûr, mais je n’avais pas de gens proches qui en avaient été victimes. Il y a cinq ans, j’ai fait une enquête, monté un dossier, mais ça n’a pas pu se faire. Là, j’ai profité du premier confinement pour y retravailler, et on a tourné entre deux confinements. C’était un tournage minimaliste avec une équipe de deux personnes, pour créer une intimité avec mes témoins, pour que les garçons et les filles qui se confient à visage découvert — c’était essentiel pour moi ! — se sentent en confiance. Ce que je voulais, ce qui est précieux : c’est leur parole pour raconter ce qu’ils ont traversé.