Fermeture de La Mine : les habitués nous racontent leur bar

Le fermeture du bar de la rue du Plâtre dans le Marais est devenu très vite un nouveau symbole pour ceux qui craignent la transformation inéluctable du quartier et ceux (souvent les mêmes) qui appréhendent la perte d’un lieu emblématique de la culture fetish à Paris. Comme un dernier hommage, Jock.life a rencontré des habitués de La Mine pour qu’ils partagent leurs souvenirs.

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Dans le ronronnement lourd de la crise sanitaire, on a appris cette semaine la fermeture définitive de La Mine, bar parisien emblématique de la communauté fetish (mais pas que !) tenu par un Greg (le gérant) avec le cœur sur la main. Après le choc de la perte possible du Tango, nous avons voulu recueillir les témoignages, remplis de tristesse mais aussi de fatalité, d’habitués. Après plus de huit ans, un lieu de convivialité et de respect mutuel ferme. Beaucoup de questionnements sur l’avenir perdurent…

Grosse surprise la première fois !

Michel D. (la quarantaine) se souvient de sa première visite : « Je me souviens très bien de la première fois, le bar venait d’ouvrir, mais je suis arrivé « en civil » un peu par hasard, parce que mon mec de l’époque en avait entendu parler. Même si Greg n’imposait pas de tenues fetish, mes meilleurs souvenirs sont ces soirées où la foule a joué le jeu… Beaucoup d’habitués étaient multi-fetish, mais s’adaptaient toujours pour être lookés selon le thème de la soirée… Ou selon la météo ! »

Pour Max (45 ans), le mélange du lieu a été un choc : « J’ai tout de suite aimé cet endroit qui ne pratiquait, en fait, pas de dress-code strict : on pouvait être fétichiste du latex, du jogging ou juste branché cul et y entrer en jean. Greg avait maintenu un ambiance bon enfant. J’y allais souvent tôt, à l’ouverture, avec une clientèle sortie de bureau et une autre qui se changeait en route ou sur place, pour se mettre en total look. » 

Patrick (60 ans) est un habitué du quartier depuis longtemps : “La seul chose dont je me souviens a été de me rendre compte que La Mine était rue du Plâtre, cette même rue où avait ouvert le premier bar gay du Marais après la période de la rue Saint Anne. Sa fermeture est peut-être annonciatrice d’un épisode qui se ferme… Rue du Plâtre ! Reste à savoir où aura lieu le prochain… »

Pour Franck Desbordes (éditeur notamment du magazine fetish AgendaQ), c’est clair, son premier souvenir, c’est : « l’inauguration évidemment. La Mine proposait d’emblée un concept fetish-soft, mais un concept fetish ! Soft parce que contrairement à ce que laissait penser le nom du bar, il n’y avait pas de backroom, de cave ou de lieu sombre à la Mine. La Mine était un vrai bar : on pouvait venir y prendre l’apéro looké… ou pas si l’on sortait du travail. La Mine apportait le respect, la convivialité et la tranquillité. Rare dans le quartier ! »

Crédit : Facebook

La Mine, c’était ça !

Comment définir ce que La Mine représentait pour nos habitués ? Beaucoup de choses en fait. Max y voyait : « Un lieu singulier, un arrêt sur le parcours qui va du Mic Man (fermé aussi) au One Way. Un endroit où passer chercher l’Agenda Q et le lire, et surtout un autre rapport à l’autre, à la diversité de la communauté : je ne me sens aucun point commun avec les puppies, mais j’ai vu des garçons épanouis dans ce rôle, et ça m’a rendu plus open, c’est toujours nécessaire. C’est aussi un des endroits où l’on pouvait aller seul et papoter. Je n’y ai pas dragué, ou très peu, mais j’ai parfois parlé “technique” sur des pratiques hards.  J’ai vu que l’on pouvait prendre de l’âge dans cette communauté sans être rejeté. Je n’y ai JAMAIS vu de serveur snob, ou désagréable. Les patrons de bordel y allaient facilement, ce lieu était au-delà de l’idée de concurrence. »

Pour Patrick : « La Mine était un lieu d’expression des passions de chacun. Ça me concernait un peu de loin quant au fetish, mais j’aimais que ce soit visible. »

Franck considérait La Mine comme son QG. : « La Mine était un vrai cocon. Mais au-delà, ce lieu était un carrefour. On pouvait faire connaissance à La Mine avec ces garçons que l’on allait retrouver et draguer plus tard dans la soirée dans les backrooms. Et La Mine, c’était quand même le lieu où la plupart des associations fetish se retrouvaient pour organiser leurs rendez-vous : des apéros, des élections, … Et puis il y avait aussi des expos fetish à La Mine. La Mine était un lieu d’expression culturelle de toute une communauté. »

Michel D. va encore plus loin : « La Mine est devenue comme ma deuxième maison, en mieux ! J’adore l’idée de pouvoir venir vivre mes fetishs au quotidien. Je ne suis pas de ceux qui se vêtissent chez eux tout seul, qui ramassent les poils de chats avec le latex (Rires). Je pouvais porter tout ce qui m’intéressait dans un environnement ouvert, assumé et bienveillant… »

De la tristesse et des questionnements

Michel D. a réagi à la nouvelle avec tristesse mais aussi avec fatalité : « Le Marais souffre depuis des années. Nos établissements ont été fragilisés par l’envolée des prix du quartier qui devient celui du shopping de luxe. La crise sanitaire précipite nos lieux de sorties dans des situations encore plus complexes. Je souhaite beaucoup de courage, non seulement à Greg et à Jérôme, mais aussi à tous les gérants de nos établissements. Nous aurons besoin de tous nous retrouver à la fin de cette crise. Souhaitons que ce soit le plus rapidement possible et que les habitués de la Mine réussiront à se retrouver… »

Max a voulu participer à la cagnotte lancée en soutien au patron : « Il y a très peu de patrons de bar pour qui j’aurais fait ça. Le temps où un coiffeur de province rachetait un bar gay pour faire fortune est terminé. Les commerçants vont devoir être inventifs. Proposer la même soirée ou après-midi qu’il y a 10 ans avec une clientèle plus rare, ça ne marchera plus. La réinvention sera une obligation, avec les clients et l’écoute de ceux-ci. Certains mecs dépensent beaucoup dans les lieux de sexe et les bars, il va falloir leur demander ce qu’ils veulent. »

Franck a lui aussi vécu tristement cette fermeture, mais il préfère positiver : « Même si ça se termine mal et brutalement, c’était une très belle aventure avec plein de bons moments. Chacun gardera les souvenirs des bons moments vécus à La Mine. Plusieurs jours après, je m’interroge sur les lieux où va se « déverser » la clientèle de La Mine à l’avenir, aucun des lieux existants ne proposant réellement le format et l’ambiance de La Mine. Il y a comme le sentiment d’être « orphelin » (le mot est excessif mais je n’en ai pas d’autres). »

Même constat pour Patrick : « Je trouve toujours que le fermeture d’un établissement gay est triste. Encore plus La Mine que j’adorais. Ce bar me faisait tellement penser aux bars du Marais des années 80 avec son mélange de looks, d’envies, d’origines… Certains pourraient trouver que ce genre de bars est plutôt old school. Pour moi, c’était un vrai bar alternatif. Les réseaux sociaux, ce n’est pas assez pour pouvoir se rencontrer. On a besoin d’établissements vrais avec leurs odeurs, leurs bruits. En tout cas, moi, j’en ai besoin… »

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