Quel avenir pour les bars, clubs et saunas gay ? Rencontre avec le SNEG et l’ENIPSE

Le dĂ©confinement en cette pĂ©riode de crise Covid-19 soulĂšve Ă©normĂ©ment de questions pour les commerces du milieu LGBT. Ces lieux, fermĂ©s depuis plusieurs semaines, sont multiples : bars, clubs, cruising, saunas…autant de facettes qui laissent imaginer qu’une sortie de crise unique n’est pas envisageable. Quelles sont les pistes Ă  l’Ă©tude ? Que faut-il rĂ©inventer ? Nos Ă©tablissements vont-ils pouvoir se remettre de cette crise ? Autant de questions que se posent les habituĂ©s des commerces LGBT, mais aussi des patrons dans l’incertitude totale. WAG a posĂ© ces questions Ă  deux organismes qui travaillent auprĂšs du milieu gay depuis des annĂ©es, Le SNEG & Co pour la partie syndicale, et Enipse pour le volet santĂ©. Nos questions Ă  RĂ©mi Calmon (SNEG & Co) et Antonio Alexandre (Enipse).

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Article paru sur wag-mag.fr le 8 mai 2020

Bonjour Rémi et Antonio. SNEG & Co et Enipse sont depuis des années aux côtés des établissements LGBT. Aujourd’hui, sur cette crise du Covid19, êtes-vous en relation avec les ministères concernés pour travailler au redémarrage des entreprises du secteur ?

Antonio – L’association historique le SNEG a été créée en 1990, afin de mobiliser les exploitants partout en France dans la lutte contre le sida. En 2013, les deux pôles (Syndicat et Prévention) se sont séparés, notamment à la demande du ministère de la Santé, afin d’éviter tous conflits d’intérêts entre financement public et privé. Ce débat avait aussi lieu en interne pour des raisons stratégiques afin de donner la possibilité à chaque pôle de se développer dans son cœur de métier. L’un, dans une nouvelle structure est devenu un syndicat professionnel, le SNEG & Co qui s’est ensuite associé à l’UMIH en 2015 ; l’autre, centré sur la prévention et la santé. L’association historique SNEG est devenu L’Enipse (Equipe Nationale en Intervention et Prévention Sante pour les Entreprises). Nos deux associations gardent des liens de collaborations et particulièrement en cette période difficile.

En 30 ans, nous avons tissé des liens importants avec les autorités de santé partout en France. Et, nous sommes actuellement en contact avec les Agences Régionales de Santé et la Direction Générale de la Santé. Ces derniers jours, nous avons échangé avec Remi, sur des fiches établissements, des formations pour les lieux, un accompagnement des exploitants par notre équipe.

Rémi – Naturellement, nous sommes toujours en relation avec les ministères de référence de nos adhérents Établissements Recevant du Public (ERP). Mais contexte oblige, nous le sommes plus que jamais. Il s’agit du Ministère de l’Économie pour négocier les mesures d’aides et de soutien à tous ces établissements qui ont été fermés non pas du jour au lendemain, mais qui ont été prévenus un samedi soir à 20h qu’ils devaient être fermés pour minuit ! Fonds de solidarité, prêts garantis par l’État, dispositif autour des loyers, des factures d’eau, de gaz, d’électricité… tous ces sujets relèvent de ce ministère qui fait aussi le lien avec deux acteurs majeurs : les banques qui doivent faire preuve de souplesse (nous les avons suffisamment soutenues, c’est à leur tour !) et les assureurs qui ne jouent pas le jeu de la solidarité en refusant de prendre en charge les pertes d’exploitation en se retranchant derrière leurs conditions générales et particulières. Nous ne lâchons rien, un prochain rendez-vous est programmé le 11 mai.

Le ministère des Affaires étrangères, qui porte délégation au Tourisme, branche professionnelle à laquelle appartiennent nos établissements, est aussi dans la boucle. C’est sur lui que reposera demain, la relance de notre activité économique, avec la réouverture des frontières. Il faudra faire valoir les atouts de notre pays comme destination touristique attractive pour la clientèle LGBT. Nous travaillons aussi avec le ministère du Travail, notamment pour le dispositif d’activité partielle qui prend en charge la rémunération des salariés. Dans la branche du CHRD qui est celle de nos établissements, la durée conventionnelle de travail hebdomadaire est de 39 h et non de 356 h qui est la durée légale. Nous avons obtenu que les salariés de nos établissements soient rémunérés sur cette base de 39 h, ce qui n’était pas prévu au départ.

Un autre interlocuteur est le ministère de la Santé, incontournable puisque cette crise est d’ordre sanitaire. Avec lui, nous posons le problème de la réouverture des lieux, en garantissant la sécurité de nos salariés et celle de nos clients. Cela passe comme l’a dit Antonio sur des protocoles sanitaires, par types d’activité, par métiers. Sur la réouverture, nous travaillons aussi avec l’Économie et le Travail car au–delà de cette réouverture, il faut envisager les dispositifs en cas de redémarrage partiel, pour les exploitants comme pour les salariés, contraints par les obligations sanitaires. Le sujet est très compliqué, chacun l’aura compris.

Les établissements du milieu gay sont très divers. Parmi eux, certains sont aussi des lieux de rencontres. N’est-il pas plus compliqué, pour ces derniers, de les associer à différentes catégories ? Je pense en particulier aux saunas et aux lieux “cruising“ ?

Antonio – Sur cette question, Rémi a une meilleure connaissance juridique que moi et notamment sur ses travaux en tant que représentant de syndicat associé à l’UMIH dans le cadre d’ateliers de travail professionnels. Alors, évidemment la question ne se pose pas pour l’ouverture du bar, de la discothèque, qui rouvrira au moment où le gouvernement arrêtera un calendrier en fonction de son type d’activité. Mais c’est bien son activité connexe « ses espaces de sexe » qui risque de créer la polémique face à une maladie contagieuse et non transmissible comme le VIH. On pourrait se poser la question de la responsabilité de l’exploitant dans un cas de Covid-19 grave. Car il est difficile de garder une distanciation physique dans nos bars de contacts ou les espaces sont dédiés à la rencontre.

Mais ces « cruising » dans nos bars, nos saunas nos discothèques, sont aussi des espaces importants de socialisation et de prévention. Nous allons essayer à travers une fiche métier spécifique de trouver des solutions afin que chaque lieu puisse rouvrir sans subir aucune foudre.

Rémi – Cette question est aussi pertinente que complexe mais aussi très légitime, cela ne nous a bien sûr pas échappé. Au regard de cette complexité, et aussi parce que nous représentons nos adhérents (les établissements qui ne les seraient pas sont invités à nous rejoindre), je ne peux pas vous détailler ici l’intégralité de notre réflexion et de notre stratégie. La réponse se pose en terme juridiques et les adhérents du SNEG & Co sont informés jour après jour, semaine après semaine dans le détail de ce que nous faisons pour les accompagner.

La fermeture des établissements a été promulguée par un arrêté, leur réouverture se fera par un ou plusieurs arrêtés à venir abrogeant le premier. Ces lieux n’étaient pas illégaux avant le Covid-19, ils ne le seront pas après. Interdire leur réouverture serait une pratique discriminatoire. Concernant les saunas, l’hygiène étant au cœur des préoccupations face à la contagion, rappelons qu’en permanence, ces établissements sont exemplaires sur ce point. C’est un atout, si ce n’est un joker, pour prôner leur réouverture.

Si leur fermeture devait toutefois être arrêtée au regard de la précaution sanitaire, les dispositifs d’aides et de soutien pour les exploitants et les salariés doivent être maintenus. Ne pas rouvrir ces lieux comme l’a évoqué Antonio, va favoriser l’utilisation des applications, la fréquentation des lieux de dragues extérieurs… qui échappent à tout contrôle. Au moins, dans nos lieux, la clientèle est encadrée. Nos établissements peuvent être des relais de prévention comme ils l’ont été lors de l’épidémie de VIH puis pour les autres IST. Par ailleurs, ils proposent une socialisation qui n’existe pas dans ces solutions de remplacement.

Dans un futur calendrier de réouverture, la ligne directrice sera-t-elle uniquement donnée par le gouvernement ? Qu’en sera-t-il des préfectures ? les ARS (Agence régionale de Santé) auront-elles leur mot à dire ?

Antonio – Dans l’ordre, Gouvernement, Préfecture, la Ville, DGS, ARS. En ce qui nous concerne, nous serons questionnés par la DGS et les ARS sur la question de nos lieux spécifiques. C’est pourquoi avec Rémi, nous réfléchissons à l’écriture d’un protocole et à une méthode commune d’interventions croisées.

Rémi – Le Gouvernement promulgue des arrêtés de compétence nationale. Dans son discours devant les députés le 30 avril, le Premier ministre a indiqué que les préfets seront « les chevilles ouvrières » du plan de déconfinement, il les a d’ailleurs reçus virtuellement à Matignon dès le lendemain de cette intervention. Évidemment, la main reviendra aux préfets, aux maires, aux ARS… ces institutions de proximité qui, à l’inverse de l’État, connaissent les territoires et les acteurs économiques qui y sont présents. C’est à eux que nous réservons nos interventions et la spécificité de nos messages au regard du tissu économique que nous représentons.

Même si à l’heure de cette interview (8 mai 2020) rien n’est assuré, mais que le gouvernement semble vouloir évoluer par étapes de 3 semaines, avez-vous en tête des dates qui pourraient correspondre aux différentes étapes du redémarrage de l’activité. Le plus compliqué à gérer pour les acteurs n’est-il pas cette incertitude à tous les niveaux ?

Antonio – 15 juin ou 15 juillet ? Mais comment faire vivre un lieu en réduisant sa capacité d’entrées, son seuil de rentabilité ? Quelle fréquentation pour un bar de nuit qui aura fermé ses espaces de sexe ? Un sauna sans cabine ? Certains exploitants parlent de laisser passer l’été et d’autres de cesser leurs activités pour ne pas s’endetter. Nous n’avons pas toutes les réponses à ce jour, car les choses bougent, la recherche avance, une meilleure connaissance du virus aussi car il reste quelques inconnues. Ainsi avec Rémi, nous échangeons régulièrement avec les exploitants.

Rémi – Non nous n’avons pas de date puisque le cheminement par étape ne se poursuivra sans retour en arrière que si chaque étape se passe bien. À savoir : pas de reprise de l’épidémie ni saturation de notre dispositif de santé. Après l’étape du 11 au 31 mai, si les choses se passent bien, une réouverture des bars et des restaurants traditionnels, privilégiant les terrasses, est envisageable courant juin. Puis, si cette nouvelle étape se passe bien, l’ouverture des espaces fermés débits de boissons et restauration peut être envisagée. Puis, si cette étape se passe, bien, les espaces fermés pourraient rouvrir à leur tour… On le voit bien, c’est la capacité à maîtriser la contagion qui dictera le calendrier.

Autant le Gouvernement a fermé les lieux sous un délai de quatre heures le soir du 14 mars, autant la date de réouverture doit être annoncée sous un délai permettant au lieu de s’organiser pour nettoyer leurs établissements, mobiliser leurs salariés, reconstituer les stocks et certainement, mettre en place les mesures de précautions sanitaires. Nous avons prévenu le Gouvernement de cette nécessité, il nous a entendus.

Les établissements vont certainement devoir se réinventer. Comment appliquer le respect des gestes barrières dans des lieux dont l’un des critères est la rencontre ? Le port du masque doit devenir obligatoire dans les lieux publics. Comment imaginez-vous cela dans les bars, les discothèques, ou encore les saunas, lorsqu’ils pourront ré-ouvrir ?

Antonio – Grace au travail de Rémi, nous allons donc partir d’une fiche métier « Bar » ou « Discothèque » et l’étoffer d’un aspect sanitaire avec la spécificité de cette activité « connexe » que sont ces parcours de rencontres sexuelles. Puis, avec la participation de quelques exploitants volontaires, relire ces fiches pour finaliser un protocole et l’adapter le mieux possible aux contraintes sanitaires. Nous pourrons peut-être ainsi faire des propositions concrètes à nos différentes autorités de tutelles.

Car je le répète, ces lieux mobilisés, qu’ils soient gays ou échangistes, sont des endroits où nous pouvons lutter contre les pandémies et toucher la clientèle. Et nous sommes les témoins de cet engagement depuis 30 ans. Ainsi, nous avons proposé à la DGS dès le début avril de nous mobiliser en France dans nos lieux et de proposer comme pour le VIH, la réalisation de tests rapides Covid-19 dès que ceux-ci seront homologués, disponibles en nombre suffisants et avec l’habilitation de nos autorités de santé. Des actions spécifiques sont en cours d’écriture afin de proposer d’autres interventions.

Rémi – S’ils sont aussi des lieux de rencontres à caractère sexuel pour certains, nos établissements sont tous des lieux de convivialité. Il y a trop de gens qui prétendent détenir la vérité universelle, alors qu’en fait personne n’est sûr de rien au regard du caractère inédit de cette situation, pour que je le fasse à mon tour. Il n’aura échappé à personne que le monde de demain, dans l’attente d’une éradication naturelle du virus, d’un traitement ou d’un vaccin, ne sera plus le même qu’avant. Les établissements, qu’ils accueillent une clientèle gay, hétéro, bi ou que sais-je encore, seront impactés par ce contexte.

Au-delà de nos établissements, l’ensemble de notre vie quotidienne sera impactée, en attendant la solution qui nous permettra un total retour à la vie d’avant. Les fiches activités, les fiches métiers qui incluent les consignes à la clientèle sont là pour répondre à la solution. Et oui, jusqu’à nouvel ordre, les établissements vont devoir se réinventer en résolvant une équation à quatre dimensions : sécuriser les salariés, rassurer la clientèle, maintenir l’esprit festif et retrouver la rentabilité économique.

J’imagine que vous êtes actuellement en contact avec des établissements de toute la France ? Quel est le ressenti général ?

Antonio – J’ai donné pour consigne à toute mon équipe un contact régulier avec les exploitants et/ou salariés afin de les soutenir dans ces moments difficiles. Les premières semaines, les exploitants restaient sereins, en profitaient pour faire des travaux d’aménagement par exemple. Aujourd’hui, ils sont inquiets, notamment quand ils sont gérants d’un bar cruising ou sauna, de la possibilité d’ouverture. Car la clientèle sera-t-elle au rendez-vous dans un lieu où les espaces de sexe ne sont plus accessibles ?

Rémi – Nous comptons effectivement des adhérents dans toute la France et j’ai bien sûr eu des contacts avec des dizaines d’entre eux. L’inquiétude, l’interrogation sont au cœur de toutes les conversations. La nature de chacun fait que ces sentiments sont plus ou moins accentués chez les uns ou chez les autres mais plus le temps de la fermeture s’allonge, plus grandes sont ces inquiétudes et interrogations. Notre mission, aujourd’hui comme depuis toujours, est de les informer, de les conseiller, de les accompagner, de les représenter, de les défendre. Je connais nombre d’entre eux depuis dix-huit ans que je dirige le SNEG & Co et il y a une dimension humaine dans nos rapports, au-delà du lien professionnel entre l’adhérent et le directeur de son syndicat. Je les écoute mais pour répondre à leurs questions, je ne veux pas ni atténuer, ni noircir le tableau. Ce sont des exploitants responsables, conscients de la situation dont ils ne sont pas le moins du monde responsables. Ils n’en sont que les victimes mais quand c’est l’affaire de toute une vie, leur raison et leur moyen de vivre, on peut comprendre.

Faut-il craindre une hécatombe des établissements LGBT dans les prochains mois ?

Antonio – Il faut trouver un consensus pour rouvrir nos lieux car je crains de nombreuses fermetures. Nos lieux sont essentiels à notre vie sociale, à notre visibilité dans les espaces publics aux côtés d’autres commerces.

Rémi – Hécatombe, casse, dégâts… sans être angélique, je préfère éviter cette sémantique catastrophiste. Certains établissements étaient déjà très fragiles. Il ne vous a pas échappé que les lieux LGBT connaissant malheureusement une désaffection de la clientèle, surtout de la part de certains parmi les plus jeunes qui s’imaginent que toute homophobie a disparu. Ils rejettent nos lieu en invoquant la diversité… jusqu’au jour où ils seront eux-mêmes victimes d’une violence homophobe dans un endroit soit disant gay friendly. Ce jour-là, peut-être comprendront-ils la nécessité de nos lieux qui sont autant de refuges et non de ghettos.

On se réfugie pour être en sécurité face à l’intolérance, on ne s’enferme pas volontairement dans un ghetto. Cette parenthèse étant faite, les lieux déjà fragiles, les petits, comme c’est dans le cas dans la société pour les individus, risquent de ne pas se relever de cette situation. Les plus grosses structures ne sont pour autant pas à l’abri, leurs charges seront à la hauteur de leur taille et tout le monde est au chiffre d’affaires 0. Les adhérents du SNEG & Co ont été conseillés sur une gestion optimale pour les aider à surnager au cœur de cette tempête, il existe des solutions pour mieux s’en sortir.

Enipse a mis en place une ligne d’écoute pour accompagner le public LGBT dans ce moment de doute. Vous nous en dîtes plus ? Et quelles sont les inquiétudes de la communauté ?

Antonio – l’ENIPSE a ouvert une ligne d’écoute : 06 24.10.63.10, du lundi au vendredi de 12h à 20h et propose un espace confidentiel, et gratuit avec orientations vers d’autres dispositifs partenaires comme Sida Info Service. En cas d’urgences, de situations d’inquiétude, d’isolement, des personnes en souffrance, nous ferons le lien avec notre réseau national de psychothérapeutes pour une prise en charge spécifique.

A ce jour, nous avons traité une centaine d’appels. Avec un âge moyen de 45 ans et un intervalle de 23 à 69 ans. Solitude, isolement, sont les thèmes d’échanges à 77 %, puis la prévention, le sexe, la prise de produits et enfin les échanges autour des gestes barrières.

Une présence aussi sur les sites de rencontre avec 7000 personnes contactées et plus de 300 entretiens. Nous avons aussi pris en charge 29 personnes en grande difficultés financières pour notamment les aider à acheter des denrées de premières nécessités. A Paris, grâce à notre partenaire l’association « Basiliade », nous avons distribué des paniers repas. Et nous poursuivrons cette aide auprès des personnes LGBT+, et des associations partenaires.

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