Ciné : “Haut perchés”, fantasmes et manipulations entre amants

Huis clos à cinq personnages, “Haut perchés” est bien plus qu’un exercice de style : avec ce nouveau film, Olivier Ducastel et Jacques Martineau se livrent avec jubilation à un Cluedo du désir…

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Dans l’appartement en hauteur d’une tour qui domine Paris, cinq inconnus (4 hommes, 1 femme) se font face. Parmi eux, on reconnaît François Nambot et Geoffrey Couët (revu depuis dans les triomphales Crevettes pailletées), les deux amants du précédent film des réalisateurs, Théo et Hugo dans le même bateau. Pourquoi sont-ils réunis là ? Pour une partouze ? Pour un crime à venir ?  Olivier Ducastel et Jacques Martineau prennent leur temps pour lever les doutes et les interrogations. On est ainsi prévenu d’emblée : Haut perchés préfèrera le mystère et ne se livrera pas d’emblée. 

Crédit : Epicentre Films

Rien de compliqué pourtant dans ce qui se met en place peu à peu sous nos yeux, rien de conceptuel : juste un dispositif aussi minimaliste que malin, un huis clos dont les seules échappées sont les vues panoramiques sur la capitale depuis les larges baies vitrées et le balcon. Pourtant, plus que ces ouvertures sur l’ailleurs, c’est une pièce aveugle, une pièce dans laquelle nous ne pénétrerons jamais et où se rendent tour à tour chacun des cinq protagonistes, qui sert d’extérieur au récit.

La loi du désir

De ce qui s’y dit, de ce qui s’y joue, nous ne saurons rien, ou presque, alors que bien sûr c’est l’essentiel : un homme, l’amant des cinq personnages, y est enfermé, et c’est une sorte de délivrance pour les autres qui, au fil du film, vont nous livrer de lui le portrait d’un pervers ayant pris plaisir à manipuler les uns et les autres pour attiser leurs désirs. Que font-ils dès lors dans cette chambre opaque lorsqu’ils rejoignent leur bourreau devenu victime ? On ne peut qu’imaginer : vengeance ? plaisir ? silences ? cris ? questions ? reproches ? 

Ce hors champ restera une énigme que chaque spectateur pourra nourrir de ses propres expériences et désirs, les cinq ayant juré de n’en rien dire. Pour le reste, pour meubler le temps et pour tenter de comprendre ce qui les a conduit à s’abandonner à cet homme, ils parlent, ils racontent comment il les a séduits. Ils se racontent comme on se raconte seulement à des inconnus, évoquent leurs fantasmes, flirtent, s’éloignent et se rapprochent…

Crédit : Epicentre Films

Ce qui est très réussi, c’est de voir progressivement le fantôme de l’amant prendre moins de place entre eux, c’est de les sentir reprendre pied dans leurs vies grâce à ce drôle d’exercice d’exorcisme collectif, c’est de voir naître entre eux un lien qui ne se réduise pas à celui qui les a réuni.

Tout ici passe par les mots très précis que les cinéastes ont confié à leurs jeunes interprètes, et par un jeu subtil sur les lumières des néons et des lampes qui reconfigurent l’espace confiné de l’appartement, comme les propos échangés reconfigurent les relations entre les uns et les autres. Faisant cela, les réalisateurs prennent l’exact contrepied de Théo et Hugo dans le même bateau, qui démarrait de manière si charnelle dans un sex-club et se poursuivait en bike movie dans les rues de Paris. 

Nouveau genre

Les Ducastel-Martineau poursuivent donc leur exploration très “pédée” des genres cinématographiques entamée avec la comédie musicale, revisitée dans Jeanne et le garçon formidable, il y a 21 ans déjà. Depuis, ils ont construit ensemble une œuvre toujours surprenante dans les formes qu’elle peut prendre et pourtant très cohérente dans sa démarche. Celle-ci est toujours en phase avec les problématiques les plus contemporaines de nos vies gay, de la découverte du désir (Ma vraie vie à Rouen) aux traitements post-exposition (Théo et Hugo), de l’histoire refoulée de la déportation homosexuelle (L’Arbre et la forêt) aux dégâts causés par les  pervers narcissiques dans ce nouveau film. 

Au final du moment cathartique que reconstitue Haut perchés, la chambre secrète définitivement refermée, son occupant enfin oublié, les cinq personnages se retrouvent face à l’horizon flamboyant. Comme leurs avenirs à nouveau possibles…

Haut perchés, de Olivier Ducastel et Jacques Martineau

Avec Geoffrey Coüet, François Nambot, Simon Frenay, Lawrence Valin, Manika Auxire.
Sortie en salle le 21 août 2019

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