Au-delà de la pénétration (Théâtre de la Reine Blanche) : la sexualité mise à mâle
Le comédien Yves Heck adapte sur scène l’ouvrage de Martin Page et nous invite à questionner notre propre vision de la sexualité.
Un acteur gay qui adapte et joue un texte féministe écrit par un homme hétéro… Pour un peu, on croirait entendre un remake contemporain de la Julie Andrews de Victor/Victoria quand elle interprétait une femme qui se travestissait en un homme prétendant être une femme…
Car dès son point de départ, Au-delà de la pénétration brouille les règles pour mieux les interroger. Et c’est justement là sa force. Nous emmener dans des sentiers inhabituels et encore trop tabous. Nous pousser à prendre du recul sur des stéréotypes qui sont bien souvent l’apanage de constructions sociales. Nous montrer aussi que s’intéresser à ce qui se passe chez nos voisins hétéros (et inversement) est toujours une formule gagnante.
À l’origine donc, il y a le texte éponyme de Martin Page dont le titre annonce tout de suite la couleur. Oui, il y est bien question de la pénétration au sens propre du terme. Et sans chercher à vouloir castrer à tout prix nos phallus obsédés, l’auteur se questionne sur le bien-fondé qui voudrait que la pénétration soit le Saint Graal et la seule sexualité digne de ce nom.
Ceci posé, Martin Page invite à casser les stéréotypes de la société patriarcale et ouvre une réflexion sur notre rapport au désir. Il revendique une sexualité égalitaire (combien de femmes n’osent, pour ne pas dire ne savent pas, exprimer leurs envies), une sexualité plus inventive aussi qui convoque l’ensemble des zones érogènes. Et on ne saurait que lui donner raison. Dans la communauté gay où l’équation actif/passif régule la majorité de nos rapports TTBM, la pénétration fait aussi sa loi. Les adeptes des plans softs et sensuels se sentent encore trop souvent mis sur la touche. C’est tout l’art de ce texte de se montrer universel.
Conversation intime
Yves Heck a découvert le livre de Martin Page à sa sortie en 2019 et a eu un véritable coup de cœur. Il s’est alors lancé dans la tache ardue d’une adaptation scénique qu’il réussit avec brio. Il faut dire que l’acteur, qui anime déjà les soirée Tête de lecture où il découvre en direct des textes proposés par le public, a véritablement un don de conteur.
Dans l’écrin intime du Théâtre de la Reine Blanche, il défile son argumentaire avec la limpidité d’une discussion. Plus d’une fois, ses mots font tilt et nous mettent dans une démarche de réflexion active. Pour un peu, on se surprendrait presque à se réfréner pour ne pas participer au débat. Ponctuellement, il nous offre de courts intermèdes, le temps d’un changement d’espace ou d’un pas de danse. Ces respirations bienvenues sont pour nous l’occasion de faire une pause et de mieux digérer le cheminement de la pensée.
On ressort de ces 1h10 qui passent très vite avec la volonté de prolonger la réflexion avec son ou ses partenaires. Et d’expérimenter avec eux les trésors à trouver au-delà de la pénétration…