On a parlé avec Valentin Ricart, réalisateur du doc “Fiertés Mêlées” sur Tou’Win, l’équipe de rugby gay de Toulouse, à voir en replay sur France.tv
Disponible en replay sur France.tv, le documentaire “Fiertés Mêlées” nous plonge en immersion sur le terrain avec l’équipe de rugby gay toulousaine Tou’Win alors que se prépare l’Union Cup 2023, tournoi LGBT qui s’est tenu à Birmingham. Jock.life a rencontré son réalisateur Valentin Ricart.
Quelle est la genèse du documentaire ?
J’ai commencé à concevoir l’idée de ce documentaire quand j’étais encore étudiant à l’ENSAV (Ecole de cinéma de Toulouse). Je me rendais aux entrainements des Tou’win les lundis soir après les cours. Le documentaire devait à l’origine être un film d’école parmi d’autres. Malheureusement, les restrictions liées au covid ont commencé à se prolonger, ce qui a rendu la réalisation du film impossible (pas de contact, pas de rugby !).
J’avais quasiment renoncé à l’idée quand Flo Laval, un producteur de Bordeaux à qui j’avais parlé de mon idée, m’a recontacté. Finalement, ces décalages tombaient bien car ils nous ont permis de baser le film autour du tournoi de l’Union Cup et de faire combiner la sortie avec la Coupe du monde France 2023.
Tu fais toi-même partie des Tou’Win. Quel était le principal enjeu de filmer un environnement qui t’étais familier ?
J’avais peur de décevoir le club. Je voulais respecter les valeurs qu’il défend et ne pas être à côté de la plaque. Quand on fait du documentaire, on a beau être ami avec les gens qu’on filme, il y a toujours une certaine suspicion qui plane autour de ce qu’on est en train de faire. J’ai appris qu’il fallait apprendre à mieux communiquer avec ses sujets.
Qu’est-ce qui était le plus compliqué : se préparer physiquement et mentalement à l’Union Cup ou gérer en même temps le tournage ?
C’était bien entendu le tournage. Je me suis toujours donné assez inconsciemment sur le terrain de rugby. Monter pour aller plaquer des grands gaillards m’a longtemps semblé quelque chose d’assez ludique, si bien que les entraineurs avaient fini par me passer avant malgré ma fine carrure ! Maintenant, le tournage, c’était une autre paire de manches.
Pendant l’année, on m’a mis une caméra à disposition, j’allais donc filmer les entrainements tout seul. Les conditions de tournage pour les docs sportifs sont assez rudes (lumière verdâtre des terrains, son qui résonne dans les vestiaires, personnes qui courent partout, sans compter la bruine glaciale toulousaine). J’avais donc très peu d’occasion de m’entrainer et j’essayais de faire de mon mieux. J’avais aussi l’idée de m’inclure dans le film comme personnage, mais je n’avais jamais vraiment trouvé la bonne façon de le faire.
Enfin, j’ai aussi eu droit à plusieurs jours de tournage avec un caméraman, Fred, qui a été génial. J’y ai vu une occasion de m’entrainer et c’est là que je me suis cassé la jambe… Comme quoi, s’entrainer régulièrement, c’est très important quand on veut jouer. Pour le doc en revanche, on apprend en faisant.
Tu viens d’évoquer ta blessure qui t’a empêché d’être sur le terrain pour l’Union Cup. C’était pas trop frustrant ?
Oualah… C’était vraiment la déprime… J’étais à peu près à la moitié du tournage et je n’arrivais pas à trouver quelle serait ma place dans le film. Pour ce faire, je comptais un peu sur Birmingham où j’étais censé disputer le tournoi avec mes camarades… Mais quelques fois la vie choisit pour vous, on ne peut pas tout faire à la fois, être réalisateur c’est déjà un métier à plein temps.
Est-ce que tu penses que le rugby est l’un des sports qui cristallise le mieux les problématiques liées à une certaine image stéréotypée de la masculinité ?
Sans aucun doute. Le rugby, particulièrement dans le sud de la France, c’est plus qu’un sport. C’est une culture dominante qui charrie tout un tas de valeurs liées à une sorte de masculinité fantasmée. Ces valeurs infusent la société à travers une série d’habitus et on les retrouve partout en dehors du terrain (dans la presse locale, dans les musiques qu’on écoute, dans une certaine façon de faire la fête et de se bagarrer après, un langage récurrent etc…) Cela concerne tout le monde, y compris ceux qui n’ont jamais mis un pied sur un terrain. On pourrait par exemple parler des nombreuses mères de famille qui renvoient, de par leur façon d’être, à ce virilisme de la culture rugby. Quand on grandit là-dedans, il faut obligatoirement se positionner par rapport à ces valeurs.
Tu expliques d’ailleurs que, même si tu venais d’une famille d’amateurs de rugby, tu t’étais éloigné de ce sport pendant ta jeunesse, préférant des activités « moins viriles »…
Si vous êtes homo, vous avez deux solutions : soit rejeter en bloc ce virilisme – ce que j’ai fait – soit se cacher et vivre à l’intérieur, ce qui finit par faire de vous une sorte de contradiction ambulante. Il y a donc un grand travail à faire pour déconnecter le rugby de cet idéal stéréotypé, car c’est une culture très ancrée. Faire bouger le monde du rugby rural (le rugby de clocher comme on dit), ce n’est pas seulement bannir des vestiaires l’insulte « pédé », c’est s’attaquer à tout un système de représentations qui n’est rien d’autre que l’équilibre des micro sociétés du sud de la France.
Pourtant, le sport en lui-même n’a rien à voir avec tout ça. Il y a certes la combativité, mais on sait très bien qu’on a besoin de tout le monde pour jouer au rugby. C’est pour ça que comme je le dis souvent, les clubs inclusifs comme les Tou’wins sont, en ce qui me concerne, les seul endroits où j’aurais pu jouer et où je souhaiterai encore jouer au rugby.
Qu’est-ce qui t’a réconcilié justement avec le rugby ?
L’incultivé du club. Quand je me suis inscrit aux Tou’win, j’avais comme Matthieu, (l’un des joueurs que l’on voit dans le documentaire), beaucoup d’appréhension liées au sport. Il a suffi d’un seul entrainement pour me rendre compte qu’ici j’allais être entouré de certains joueurs qui avaient traversé les mêmes problématiques et qui avaient aussi un rapport déconstruit à la masculinité. Dès lors, les blagues de vestiaires, les troisièmes mi-temps et tout le reste devenaient quelque chose de beaucoup plus évident pour moi. Pour la première fois je me suis senti accepté dans cet univers.
Tu ouvres le documentaire avec un témoignage très fort de ton père qui se montre très ouvert sur l’homosexualité. Ta famille est un pilier pour toi ?
Oui, mes parents sont deux piliers très importants dans ma vie. Pour autant, tourner ces scènes avec mon père n’allait pas de soi. Excepté lors de mon coming-out, je n’avais jamais abordé ces questions de front avec lui. Leur façon de m’accepter et de m’encourager s’est toujours traduite par des actes plus que par des discours. Comme je l’explique dans le film, tout cela relevait du non-dit et l’aborder face à face pour le film a été un grand pas pour nous deux.
On voit qu’il y a une variété de profils dans l’asso : des gays assumés, d’autres qui n’ont pas fait leur coming out auprès de tous leurs proches…. Que viennent-ils chercher en jouant chez les Tou’win ?
Il y a autant de profils que de raisons valables. Cela peut être, comme ça l’a été pour moi, une quête personnelle, cela peut aussi être par simple volonté de continuer à jouer au rugby comme c’est le cas de Loïc. Enfin, ça peut aussi être par curiosité, parce qu’on veut tenter un nouveau sport, comme Matthieu…
On trouve aussi des joueurs hétéros…
La plupart arrivent dans le club par le biais du bouche à oreille. Les Tou’win, c’est un club loisir. Beaucoup de rugbymen cherchent quelques fois à lever le pied en entrant dans ce genre de club là. Ils ne sont pas forcément sensibilisés aux questions lgbt quand ils arrivent. Mais pour autant, la cause LGBT est indissociable du club et tous les hétéros qui deviennent membre se renseignent de fait sur ces questions. Le plus souvent, cet échange se fait tout naturellement. Une équipe de rugby, c’est un groupe très fusionnel, les joueurs tissent des liens d’amitiés intenses et apprennent donc à se connaître.
Par ailleurs, le club agit comme une association de sensibilisation autour des discriminations liées à la communauté lgbt dans le sport, et c’est un engagement qui commence bien entendu au niveau de ses joueurs.
Il est intéressant d’observer que l’essence du club fait vivre aux hétéros des situations qui les poussent à se positionner. Eux aussi ont leur petit « coming out » à faire. Si tu fais partie des Tou’win, tu en fais vraiment partie. Tu ne peux pas dire simplement à tes proches « Je fais du rugby ! ». Tu te dois d’expliquer à ton entourage ce que c’est, pourquoi ce club existe et pourquoi c’est important qu’il existe. Ce n’est pas si simple, et c’est enthousiasmant de voir que les clubs inclusifs sont aussi de véritables fabriques d’alliés.
On a vu à l’occasion la Coupe du monde de rugby, la mise en place du programme “Rugby Is My Pride”, afin de sensibiliser aux LGBTphobies dans ce sport. Quelles actions doivent-elles encore être menées pour que les terrains deviennent des espaces safe pour tous.tes ?
Je pense qu’il s’agit d’un long travail de sensibilisation et surtout d’un travail constant. On parle beaucoup du sport professionnel et officiel. J’étais très heureux de voir que le porteur du ballon pour le coup d’envoi de la coupe du monde était un joueur gay, Cyril, le fondateur des Gaillards, équipe inclusive parisienne.
Mais si elles sont importantes, on ne peut pas limiter notre travail à des actions officielles. Rien n’est jamais acquis, et le travail que font les clubs inclusifs est sans fin. Aujourd’hui, ce qui me semble pertinent, c’est de s’intéresser aux mentalités dans le monde du rugby amateur, car c’est là que, selon moi, il y a beaucoup à déconstruire.
J’espère, à ma mince échelle, pouvoir présenter mon film dans des petites écoles de rugby, dans des collèges, des lycées, pour essayer de faire évoluer les mentalités en parlant avec ceux qui font du rugby. J’ai eu l’occasion de participer aux côtés des Tou’wins a plusieurs interventions scolaires pour sensibiliser autour de la question des LGBTphobies dans le sport.
Vous êtes aussi connu pour votre calendrier annuel, en mode « Dieux du stade » Une nouvelle édition est-elle prévue cette année ?
Évidemment ! Chaque année, les Tou’wins font leur calendrier. Pour avoir toutes les informations, il suffit de se rendre sur le site du club où il est possible de se les procurer. Vous pouvez également suivre le club sur Insta, ils postent en général des petites stories des shooting…
Ton doc Fiertés mêlées a été diffusé le 12 octobre sur France 3 Occitanie et est désormais accessible en replay sur France.tv. Quels ont été les retours après la diffusion ?
J’ai reçu de nombreux messages, très touchants, de personnes qui me remerciaient de parler inclusivité et sport. J’ai aussi reçu des messages de mes amis du club qui m’ont remercié et ont trouvé que le film portait bien leurs valeurs. Ces messages m’ont fait chaud au cœur ! C’est très enthousiasmant d’avoir un retour sur un film quand on passe beaucoup de temps à tourner ou monter dans son coin.
Des projets pour la suite ?
Le premier, c’est de continuer à travailler comme Drag Queen et pianiste avec mon personnage de Lady Ricart (@ladyricart). La scène me manque un peu et j’ai envie de retrouver le contact du public après avoir passé beaucoup de temps en salle de montage.
J’ai aussi l’idée d’un autre film. J’aimerais suivre une compagnie de cirque avec laquelle travaille mon copain Danilo Pacheco.
Dernière question : pas trop déçu par la défaite de la France à la Coupe du monde de rugby ?
Heureusement qu’il y a encore les danseurs de Rosalia pour ne pas regretter de m’être teint les cheveux en bleu… (rires)