Paul Vecchiali : hommage Ă  un franc-tireur

Paul Vecchiali vient de mourir Ă  92 ans, au terme d’une carriĂšre entamĂ©e en 1961 au cours de laquelle il a rĂ©alisĂ© une cinquantaine de films dont « Encore (Once more) Â», le premier film français consacrĂ© au sida. Auteur complet, passionnĂ© de cinĂ©ma, il a crĂ©Ă© son Ɠuvre en marge, tournant jusqu’à son dernier souffle. Hommage Ă  un franc-tireur.

Publié le

Paul Vecchiali avait horreur des étiquettes, aussi bien celles qu’on pouvait être tenté d’apposer sur ses films que celles liées à la sexualité. Homo ? Bi ? Hétéro ? Autant dire qu’il protestait vigoureusement dès qu’on avait l’imprudence de se risquer à le décrire ou à décrire son œuvre via ces grilles. Et pourtant, comment ne pas noter que cet auteur toujours en marge de tous les systèmes de production a joué un rôle majeur dans les représentations de l’homosexualité par le cinéma français ?

Le cinéaste des femmes

Cinéphile passionné, fou d’actrices élevées au rang d’icônes — au premier rang desquelles Danielle Darrieux, son idole, qu’il finit par diriger en 1983 dans En haut des marches —, il leur donna des rôles sublimes dans ses plus beaux films. Son  œuvre majeure ne s’intitule-t-elle pas Femmes femmes (1974), portrait de deux comédiennes sans rôles qui vivent dans leurs illusions ? Le film est si incroyablement libre et moderne qu’il impressionne Pier Paolo Pasolini qui s’empresse d’engager ses deux interprètes, Hélène Surgère et Sonia Saviange (la propre sœur de Vecchiali), pour jouer dans ce qui sera son ultime film, l’hallucinant Salo.

Femmes, femmes / Shellac

Les femmes sont d’ailleurs au centre de la majorité de ses réalisations, sublimées, idéalisées, magnifiées de mélos en chroniques, des Ruses du diable (1966) au Cancre (2016) en passant par cette merveille de Corps à cœur (1979) ou Rosa la rose, fille publique (1986).

Dans certaines de ces histoires où le féminin l’emporte, Vecchiali glissait des notations fortuites mais audacieuses à l’homosexualité, comme celle du vieux garagiste de Corps à cœur déclarant son amour à son employé, pourtant lui-même fou d’amour d’une belle pharmacienne, et qui répond à cette annonce d’un merveilleux et inattendu “Je pense que quand on inspire un désir aussi fort, on n’a pas le droit de dire non”…

Le premier réalisateur à parler du sida

Parcourir la filmographie de Paul Vecchiali, c’est tomber sans cesse sur des pépites de ce genre, sur ce sujet ou d’autres, que ce soit le porno (Change pas de main, 1975), la peine de mort (La Machine, 1977), le viol (Le Café des jules, 1988), ou le sida. Vecchiali sur ce thème est un précurseur.

Aucun cinéaste français ne s’est encore attaqué à la représentation de la maladie qui décime la communauté gay dans ces années 1980 finissantes. Il s’attelle alors à Encore (Once more), étonnante fable anti naturaliste au possible puisque se présentant comme une comédie (une tragédie plutôt) musicale. On y suit en dix étapes filmées en plans séquences (dix anniversaires entre 1978 et 1988) la trajectoire de Louis, de l’échec de son mariage à sa passion destructrice pour un homme rencontré sur un lieu de drague, jusqu’à sa contamination et sa mort.

Encore (One more)

Un homme libre

Farouchement indépendant, Paul Vecchiali crée en 1975 sa propre société de production, Diagonale, qui lui permet de tourner sans en référer à personne, à l’écart du monde du cinéma traditionnel, avec des moyens forcément limités mais une autonomie totale. Jusqu’à la fin, il usera de cette liberté qui lui était si chère, utilisant sa villa du midi pour tourner en quelques semaines ou jours ses derniers films dont nombre sont sortis directement en vidéo. Qu’importe. Ils existaient, ils existent, traces de la créativité jamais apaisée de Vecchiali.

Ce goût de la liberté, ce fils de militaire en fit profiter d’autres, révélant et produisant dans les années 1970-1980, via Diagonale, toute une génération de cinéastes originaux (Jean-Claude Guiguet, Marie-Claude Treilhou, Gérard Frot-Coutaz, Jacques Davila, Jean-Claude Biette…) dont les œuvres sont traversées par l’homosexualité.

Paul Vecchiali et le comédien Pascal Cervo

Vecchiali écrivait aussi. Et fort bien. Des romans. Son autobiographie. Des essais érudits et passionnés sur le cinéma. Il n’arrêtait jamais. Ces derniers mois, il avait ainsi tourné deux films : Pas… de quartier, sorti en avril dernier, et Bonjour la langue, un clin d’œil à Jean-Luc Godard qu’il venait d’achever.

C’est son producteur et compagnon, Malik Saad, qui a annoncé sa mort, dans la nuit du 18 janvier, après qu’il ait été hospitalisé en urgence. Autant dire que sa passion inentamée qu’il relayait volontiers sur les réseaux sociaux (parfois de façon rugueuse), sa générosité artistique et humaine, son talent, sa liberté, vont manquer au cinéma français.

Didier Roth-Bettoni

Tu en veux encore ?