On a parlé avec Philippe Besson des adaptations théâtre et ciné de “Arrête avec tes mensonges”

Auteur de plus d’une vingtaine de livres, Philippe Besson a une actualité particulièrement dense en ce début d’année 2023. Outre la sortie de son dernier opus « Ceci n’est pas un fait divers », son roman autobiographique « Arrête avec tes mensonges », consacré à sa grande histoire d’amour de jeunesse, connaît deux adaptations : l’une sur scène jusqu’au 5 février au Théâtre de la Tempête et l’autre sur grand écran avec le film de Olivier Peyon
qui sort le 22 février prochain. Rencontre.

Par Philippe Escalier

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Philippe Besson, peut-on dire que Arrête tes mensonges par son côté biographique marque un tournant dans votre bibliographie ?

À l’évidence. Jusqu’ici, j’ai écrit des romans ce qui m’allait très bien puisque je suis venu à l’écriture précisément pour cela :  vivre d’autres vies que la mienne, incarner des personnages et d’ailleurs, j’ai longtemps dit que je n’écrirai jamais directement autour de ma propre histoire, trouvant plus amusant d’inventer et de fictionner.

Et puis, arrive ce moment où j’apprends la nouvelle de la mort de Thomas qui me plonge dans un grand désarroi et qui me conduit à faire le contraire de ce que j’avais dit depuis une vingtaine d’années. Mais j’obéis à une urgence, à une nécessité, à une colère, à un chagrin. Ce livre existe et ce qui me surprend c’est qu’il va à la rencontre de nombreux lecteurs. Pourtant au départ, je me suis interrogé sur qui allait être intéressé et concerné par un récit si personnel. Et là, je vérifie un axiome assez connu disant que plus on est dans l’intime et plus on a de chance de toucher à l’universel.

Cette double adaptation, l’une au théâtre et l’autre au cinéma est une formidable amplification de cette capacité à rencontrer votre lectorat !

Lorsqu’il est paru, c’est le livre qui, de très loin, m’a valu le plus de courriers. Mais en effet, cet impact sera accru par l’adaptation théâtrale et cinématographique. J’en suis ravi ayant toujours considéré que les livres ne devaient pas être des objets figés ou fossilisés et qu’il était bien que leur vie puisse continuer sous d’autres formes. De plus, le théâtre et le cinéma permettent de raconter l’histoire différemment, on l’incarne, on lui donne une gestuelle et des sons quand le livre, lui, est cantonné à la solitude et au silence.

Cela me plait d’autant plus que l’on va pouvoir entendre ce que j’ai voulu dire dans ce livre à savoir que l’homophobie existe encore dans nos sociétés, qu’il n’est donc pas inutile de lutter contre elle et que, par ailleurs, le silence ou le déni dans lesquels certains s’enferment parfois peuvent rendre très malheureux voire tuer. C’est aussi une façon de rendre hommage à un disparu qui, pour moi, compte plus que tout. C’est la réparation d’une injustice et je suis tout simplement heureux que l’on puisse apprendre à connaître Thomas.  

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Arrête avec tes mensonges au Théâtre de la Tempête ©Jean Louis Fernandez

En pratique, comment participez-vous à cette double transposition ? 

Je n’y participe pas puisque je cherche à être à distance, considérant qu’il faut laisser une liberté totale aux créateurs qui s’emparent d’un texte, de la même manière que je n’ai aucune envie que l’on intervienne dans mon travail. Il serait contre-productif de voir un auteur intervenir dans une adaptation d’une de ses œuvres. Il faut savoir lâcher son livre, en être dépossédé, de la même façon qu’après sa publication, les lecteurs se l’approprient avec leurs fantasmes, leurs désirs, leurs souvenirs.

C’est la même chose avec Angélique Clairand et Éric Massé au théâtre et Olivier Peyon au cinéma, ils s’emparent du livre avec leur propre vécu. Olivier par exemple, je me permets de le dire car il s’est exprimé là dessus lui même, s’est autrefois enfermé dans le non-dit. Cette thématique du silence comme celle du déterminisme de classe est importante pour eux. À eux de la traiter comme ils l’entendent. Il s’agit de leur travail, il faut donc les laisser s’exprimer sans les brider d’aucune manière.

Vous parliez de transfuge de classe, on a souvent dit que l’homosexualité permettait plus facilement que l’hétérosexualité, le mélange des classes sociales. Pourtant le milieu social reste très prégnant, décisif même comme on peut le voir dans votre livre entre Philippe et Thomas. Finalement, il n’y aurait rien de plus insurmontable que la barrière des classes sociales ?

Une chose est sure : la phrase essentielle dans le livre c’est la réponse de Thomas quand je lui demande pourquoi il m’a choisi ? Il me répond : « Parce que tu partiras et que nous resterons » ! Tout est là, lui s’est senti d’emblée condamné à ne pas partir, à rester fidèle aux racines, à l’endroit où il était né. Il avait le sentiment qu’au contraire, j’aurai droit à l’émancipation, je pourrai aller voir ailleurs. C’est la raison pour laquelle il est entré dans cet amour, il en connaissait la fin ! Il est resté, je suis parti mais au fond nous avons été tous deux des enfants obéissants, lui en restant attaché à la terre de sa famille, moi en écoutant les injonctions de mon père, un instituteur pour qui les études étaient le seul moyen de s’affranchir et d’avoir une vie meilleure. Cette question des classes sociales est en effet, sans doute, à l’origine de la fin de l’histoire.

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Arrête avec tes mensonges au Théâtre de la Tempête ©Jean Louis Fernandez

La période des années 80 dans laquelle se déroule le récit est marquée par l’émergence de personnalités qui assument leur homosexualité alors même que pour beaucoup, elle est vécue de façon cachée, tandis que le sida fait des ravages !

Ces années sont étranges en effet. Les combats ont commencé dans les années 70 pendant lesquelles l’on voyait des artistes tomber le masque, devenir des modèles et nous rendre moins invisibles. J’ai toujours dit que c’est en lisant Hervé Guibert que, tout d’un coup, je me suis senti moins seul, avec quelqu’un qui me ressemblait, vivant la même histoire que la mienne, à l’exception du sida auquel j’ai pu échapper. Ne plus être seul a été fondamental pour moi grâce à ces modèles.

Le revers de la médaille c’est qu’apparaissant davantage, vous êtes beaucoup plus combattus. Là dessus est apparu le sida, véritable tragédie pour beaucoup de gens de ma génération. Cela explique aussi pourquoi j’écris. Quand vous avez 20 ans, que vos amis et vos amants disparaissent et que la seule possibilité de les voir c’est d’aller se recueillir sur leurs tombes, cela change tout. Et c’est pourquoi j’ai écrit si longtemps sur l’absence, le manque, la disparition qui ont caractérisé notre génération. Donc oui, il y avait ce double mouvement, un début de sortie du placard et puis, la dévastation et la mort.

Nous parlions de rupture au niveau de votre bibliographie. Depuis Arrête avec tes mensonges vous avez écrit Paris-Briançon, un roman choral, (une première !) et votre tout dernier opus, Ceci n’est pas un fait divers, dont le sujet est un féminicide. C’est presque un nouveau départ ?

Je suis allé sur des terrains où je ne serai pas allé avant. À partir de Arrête avec tes mensonges, j’ai accepté de revenir sur le terrain de l’auto-fiction avec ce second volet autobiographique qu’est Un certain Paul Darrigrand. Ensuite, j’ai écrit un roman choral et à suspens avant de publier en ce début 2023 Ceci n’est pas un fait divers. Pendant longtemps, j’ai essayé de résister à la porosité de l’actualité, même si en tant que citoyen, je la vois, je la vis, elle me traverse. À un moment, il y a des choses qui finissent par vous rattraper. La violence faite aux femmes est devant nous, on ne peut pas y échapper et la réponse à cette terrible question nous concerne tous.

Il se trouve que les hasards de la vie m’ont fait rencontrer un lecteur qui m’a raconté sa propre histoire, son père a tué sa mère ! J’étais sidéré, je lui ai demandé pourquoi il n’en avait pas parlé avant et sa réponse a été : « Je n’avais pas les mots ! ». L’écrivain que je suis s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire, quand les gens n’ont pas les mots, on peut essayer de les trouver pour eux. Le romancier est là pour tenter de dire l’indicible. J’y suis allé en tremblant. De temps à autre, l’on peut écrire des livres qui vont toucher les cœurs et éveiller des consciences. Et réparer comme je le disais au début.

Victor Belmondo et Guillaume De Tonquédec dans l’adaptation ciné ©TS Productions

Comment voyez-vous la place du livre dans notre société si perturbée ?

La chance que nous avons en France c’est que les gens continuent à lire. On peut se réjouir que le livre qui nécessite du calme, de la réflexion, qui n’est pas dans l’urgence, résiste notamment face à la dictature de l’instantanée ou des réseaux sociaux où l’on aime surtout le buzz, la superficialité et la polémique. Que le livre existe encore est une sorte de miracle dans une société qui devient de plus en plus violente et où les gens ont de plus en plus de mal à vivre ensemble. Dans cette situation, le livre est bien une arme et un réconfort.

L’homophobie est toujours là, mais nous avons vécu de grandes avancées. Pourriez-vous écrire une histoire d’amour heureux entre hommes ?

Mais c’est ce que j’ai fait avec Arrête avec tes mensonges ! Quand j’ai commencé à écrire, avant d’être terrassé par le chagrin, je me suis souvenu du bonheur. Mon premier réflexe a été de me dire « Cela nous est arrivé… nous avons été heureux » ! Avec cette insouciance, cette innocence, cette liberté absolue que l’on voit bien dans la pièce et ce, même s’il fallait vivre cachés. C’est tumultueux, c’est compliqué, parfois frustrant mais être amoureux reste la grande aventure de notre vie !


Philippe Besson est édité chez Julliard. La plupart de ses romans ont été réédités dans la collection de poche 10/18.

Arrête avec tes mensonges au Théâtre de la Tempête, mise en scène Angélique Clairand, Éric Massé, jusqu’au 5 février 2023.
Film de Olivier Peyon : sortie au cinéma le 22 février 2023.

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