Dessins : Les bogosses de Jean-Frédéric Koné

Rencontre avec Jean-Frédéric Koné, le créateur et dessinateur parisien du comics « Santa Frances », une BD sur la vie et les amours d’un groupe de gays vivant dans une grande ville.

Publié le

Retrouvez Jean-Frédéric Koné dans le Bogossbook volume 3 disponible ici

Jean-Frédéric, qu’est-ce qui t’as amené au dessin et à la BD en plus particulier ?

J’ai toujours dessiné, aussi longtemps que je m’en souvienne. Ma passion pour le dessin a commencé avec les dessins animés. J’étais un passionné de Cartoon Network et je pouvais passer des heures devant Scooby-Doo (Velma, ma première héroïne LGBTQ+, selon les rumeurs…) et Johnny Bravo. Donc j’ai commencé en mettant sur papier mes idées de dessins animés farfelus. Après, c’est bien sûr Spirou qui est venu me chercher mais bon, évidemment, moi et les rouquins… Dans l’adolescence, c’était les mangas, puis à la fac la bédé indé américaine.

Honnêtement je n’envisageais pas vraiment une carrière qui ne me permettrait pas soit de dessiner soit de raconter des histoires et la bédé était le medium le plus approprié et accessible pour les deux. J’ai malgré tout fait des études et bossé quelques années en communication, mais quand l’occasion s’est présentée de ne gagner ma vie qu’avec mes dessins, j’ai décidé de sauter dessus.

Comment as-tu eu l’idée de faire cette BD sur la vie d’un groupe de gays ? D’une certaine façon, “Santa Frances” me fait penser à « Sex and the city » version mecs.

Si on a été un peu gâtés au niveau télé et ciné avec des séries comme Looking ou The Outs ou des films comme Weekend, ça se complique un peu version papier, du moins, pour moi. J’avais l’impression de ne pas trouver exactement ce que je cherchais dans les bandes-dessinées gays, soit dans le contenu, soit dans la forme.

Quand il ne s’agissait pas d’histoires surnaturelles ou de SF, elles avaient souvent un côté trop mignon qui ne me parlait pas plus que ça ou il s’agissait en grande majorité d’histoires courtes, comme les bara mangas de Jiraiya ou Gengoroh Tagame, alors que j’ai toujours préféré les séries pour la possibilité de voir évoluer les personnages.

Du coup, j’ai décidé qu’un jour je créerais moi-même ce feuilleton qui parlerait de manière comique de la vie quotidienne de jeunes hommes gays, y compris de leur vie sexuelle, sans en édulcorer les côtés plus rarement explorés dans ce genre de bande-dessinée, comme le harcèlement sexuel, les relations abusives, ou encore le racisme et la fétichisation qui fait partie de mon expérience en tant qu’homosexuel noir.

Je crois savoir que tu es originaire de Montréal ; est-ce que ton comics se situe là-bas ?

C’est sûr que mon expérience à Montréal a eu une grande influence dans ma vie (j’y ai habité 9 ans, soit un tiers de ma vie) mais je suis franco-ivoirien. J’aurais effectivement pu placer mon histoire à Montréal mais, non. San Francisco m’a toujours fasciné à cause de sa réputation d’ouverture pour les communautés LGBT, j’ai donc eu envie de faire évoluer mes personnages dans une version fantasmée de cette ville. Il ne me reste plus qu’à visiter la vraie maintenant.

Parle nous un peu de ton processus de création : comment crées-tu tes personnages ? Sont-ils basés sur des amis ou des gens réels ?

Pas mal d’histoires, d’évènements ou même de courtes conversations sont inspirés par diverses anecdotes de ma vie privée. En même temps, tous les personnages sont dans des situations très similaires à la mienne ; des hommes cis gays début trentaine qui vivent dans un milieu urbain, du coup il n’était pas possible de ne pas m’inspirer un minimum de ma propre vie… Mais ils sont tous fictifs… En dehors des quatre personnages principaux, tous les autres sont créés pour répondre à des besoins spécifiques de l’intrigue. Du coup, leur âge, leur apparence ou leur couleur de peau sont rarement choisis au hasard.

Il y a pas mal de scènes torrides et ouvertement sexuelles dans ta BD ; penses-tu qu’aujourd’hui, l’aspect romantique d’un récit ne suffise pas à des lecteurs gays ?

Je ne vais pas mentir en disant que je ne m’attendais pas à ce que les scènes de sexe explicites soient un argument de vente. Mais honnêtement, j’ai beaucoup de plaisir à les faire, et je n’aurais pas commencé cette histoire si je n’avais pas l’intention d’en inclure. Cela dit, et j’en suis assez content, plusieurs lecteurs m’ont dit qu’ils ont commencé à me lire pour le sexe, et qu’ils continuent maintenant à suivre l’histoire pour l’intrigue et pour les personnages. Mais Santa Frances n’est pas, pour moi, une histoire d’amour. Si les relations sentimentales et sexuelles sont autant mises en avant, c’est parce qu’elles sont un aspect fondamental de la vie homo.

Après tout, le seul point commun entre tous les hommes gays c’est leur attirance envers d’autres hommes.

En plus de tes comptes Facebook ou Instagram, tu as un compte Patreon (site de patronage d’artistes), est-ce que Patreon t’a aidé en tant qu’artiste ?

Patreon est, sans exagération, la seule raison pour laquelle Santa Frances existe. Sans ce site, il m’aurait été impossible de monétiser ma bande-dessinée dans la forme qu’elle a en ce moment. J’aurais sans doute dû passer par une maison d’édition, ou en tous cas par un site de webcomics payant à qui j’aurais dû rendre des comptes, alors que Patreon me permet une liberté totale pour créer un contenu que je transmets directement à mes lecteurs sans aucun intermédiaire. Je suis donc extrêmement reconnaissant à tous ceux qui ont décidé de me soutenir sur la plateforme.

Enfin, Patreon me permet de publier la version non-censurée de la bédé, alors que Instagram menace continuellement de fermer mon compte et cela bien que toutes les planches y soient censurées au point d’être parfois illisibles. Mais c’est un problème que rencontrent beaucoup d’artistes sur cette plateforme, surtout lorsqu’ils sont LGBTQ. À bon entendeur, salut.

Tu as participé au Bogossbook volume 3, ce recueil de dessins érotiques avec plus de 80 artistes du monde entier : parles nous de cette expérience.

C’était assez grisant de participer à ce projet qui rassemblait plusieurs artistes que je connais personnellement ou que j’admire de loin. C’était aussi amusant, une fois le livre sorti, de voir comment les autres avaient décidé d’illustrer le thème de l’érotisme au quotidien. J’ai eu de bonnes surprises ! En plus, j’en ai profité pour faire poser un ami que je trouve très sexy, donc c’était tout bénef…

Est-ce que tu as d’autres projets en cours ?

Pour le moment, Santa Frances ne me laisse pas beaucoup de temps pour travailler sur d’autres projets. Je planche, depuis bien trop longtemps, j’avoue, sur une édition papier pour laquelle je dois lancer une campagne de financement, mais je pense attendre début 2022 pour le faire. Par contre, j’ai une librairie assez large d’autres bandes-dessinées sur mon site personnel, dont certaines que je compte reprendre une fois que j’en aurais fini avec SF, en espérant qu’elles rencontrent le même succès malgré l’absence de scènes pornographiques.

Retrouvez le travail de Jean-Frédéric Koné sur Instagram : @kjfcomics et @santafrances.ca

Propos recueillis par David Foissard, éditeur du Bogossbook 

Tu en veux encore ?