“J’ai passé Noël avec un mec rencontré sur une appli”

Depuis son coming-out il y a 5 ans, Stéphane n’est plus convié au réveillon par sa famille. L’an dernier, sa bande de copains était disséminée un peu partout. Sans trop d’illusions, il a jeté un coup d’œil sur les profils d’une appli. Un an après, il nous fait le récit d’une jolie rencontre.

Publié le

A ceux qui me plaignaient, sans m’inviter ( «Tu comprends, ma cousine est très tradi »), j’expliquais que non, passer un réveillon de Noël à éviter les attaques déguisées, ça ne me manquait pas. Un cousin m’avait même offert un guide de poche sur la chasse, alors que je suis membre d’une association pour la bientraitance animale ! Avant la pandémie, je sortais parfois en boite, mais que ce j’aime lors des fêtes, ce sont les films nunuches, les marrons et la dinde cuite au jus. Chaque année, j’essaie de cuisiner une bûche pour une soirée plateau-télé gastronomique.

L’an dernier, vers 17 heures, je reçois un bip de mon appli, un type assez loin m’envoie une pic de Père-Nöel lubrique, je réponds par un smiley. Vers 19 heures, alors que je me demande si je mets du gingembre et du citron vert dans mon punch maison, je reçois un message d’un gars pas très loin : Joël, dit Jo. Je me demande ce qu’il cherche, sa photo est du genre modeste, un joli blond, simple, en chemise en jean, souriant, un peu timide. Le truc que je juge ridicule, c’est qu’il cherche des amis. Mais qui cherche des amis sur une appli ? J’ai toujours cru que l’objectif, c’était un plan sexe qui pourra devenir un amant ou un compagnon. Je me trompais. Et c’est là-dessus qu’on a commencé à discuter : il n’est pas de la région, il est d’astreinte à son nouveau boulot dans la zone commerciale de la ville.

Le gars me fait sa petite leçon de philo, me dit de penser aux personnes seules, vivant dans des milieux « hostiles » (« tous les secteurs professionnels ne sont pas gay-friendly »), aux mecs qui arrivent dans une ville nouvelle, ou à ceux qui veulent partager autre chose avec un nouveau cercle. Il me dit bosser dans la sécurité, me décrit ce qu’il lit dans ses temps de surveillance, car il rattrape les études qu’il n’a pas suivies plus jeune. On passe au téléphone pour papoter, il a une voix virile et douce et ça me donne le sentiment d’être en terrain connu : un truc passe, j’ai envie de l’écouter. Comme je suis du signe du Lion, je passe en mode « attaque » :  je l’invite en commençant maladroitement. « Je sais que ça va te sembler bizarre, mais si tu passais ? » Jusqu’à 22 heures, il ne peut pas bouger, après il doit garder son portable allumé toute la nuit et rejoindre le lieu qu’il surveille au moindre mouvement non loin de l’usine. Je patiente devant un replay, je me verse un mini punch, j’arrose ma dinde et je prends une douche.

De nouvelles habitudes

A 22h15, il est sur le pas de ma porte et me prend dans ses bras comme il le ferait avec un pote. Je l’imaginais en combinaison de sécu un peu ouverte sur le torse mais j’ai regardé trop de films : il porte juste un pull épais comme celui des pompiers et un treillis ample. Il enlève ses chaussures de chantier et notre conversation se poursuit à table : les hommes, le punch, les pays producteurs de chapon…C’est léger, je ne sais pas si je vais lui sauter dessus, il ne fait pas le beau gosse qui veut tirer son coup. Ce qui est très nouveau pour moi, c’est que peu à peu j’oublie mes habitudes : je sers mon invité sans penser à me le taper. Il me demande des adresses dans la région, tout est fluide et léger, je suis dans mon élément. Comme je reçois ses félicitations sur tout ce que je sers à table, ça me change de ma soi-disant famille. La soirée se prolonge, il met sa play-list, pas très chill, un peu trop jazzy et on rajoute un mini verre de punch au café.

Est-ce que j’ai été tenté de lui sauter dessus ? Sans doute un peu mais je crois qu’avec lui, je me suis défait de cette obligation, pas vraiment formulée, de passer au lit par réflexe. A presque 3 heures du matin, il est rentré chez lui en m’embrassant sur les deux joues. Et depuis ? Je l’ai découvert sans rien savoir de ses goûts sexuels, j’ai reçu des mini-cadeaux, comme un livre de poésie dans ma boite aux lettres. Quand il a été nommé en Nouvelle Calédonie, en mai dernier, je me suis pointé chez lui par surprise avec du gel, des capotes et des vêtements faciles à enlever. Je voulais connaître le goût de sa peau avant son départ : c’était tendre, affectueux, un peu surprenant. Et sans lendemain. On se parle de temps en temps, il m’envoie des photos de plage par téléphone et des épices par la poste. Peut-être que j’irai pour les vacances, pour la mer, le ciel bleu et un peu pour lui.

Tu en veux encore ?