Aylau Tik : « Dans l’imaginaire de la communauté gay, l’Asiatique reste soumis, sensuel et adepte des massages ! »

Les habitués des événements gays de la capitale connaissent Aylau. Il est photographe mais aussi militant des droits LGBT. A l’occasion du Nouvel An Chinois, il revient sur la situation pas toujours facile des personnes asiatiques dans notre communauté.

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Parle-nous de toi…

Je suis né en 1980. Bien qu’étant né et ayant grandi en France, avec mes origines sino-cambodgienne et franco-vietnamienne, on me rappelle trop souvent que “je ne suis pas d’ici”. Au Long Yang Club (1ère association LGBT asiatique), un ami vietnamien m’a appris qu’en tant qu’enfant issu de la première génération d’immigrés, je suis ce qu’on appelle une “banane” : jaune du dehors et blanc du dedans. J’ai une éducation française dans un corps asiatique. Un râleur jamais content avec un brin de philosophie et de zénitude.

La France reste un pays conservateur : le racisme et les LGBTIphobies ont encore de beaux jours devant eux. J’ai grandi sur les hauteurs de Montmartre, puis à Bagnolet, où nous étions parmi les rares « racisés » à ne pas vivre dans une cité. On faisait partie des “Chinetoques”, comme s’amusaient à nous apostropher les enfants du voisinage. J’ai vécu essentiellement à Paris et en Île-de-France. Je vis où mon cœur m’entraîne…

Depuis quand sais-tu que tu es gay ?

Quelque part entre mon premier porno hétéro à 13 ans, visionné avec des potes pendant les grèves du collège, et mon dépucelage d’été à presque 15 ans juste avant l’entrée au lycée.

Comment s’est passé ton coming out ?

Celui avec les parents ? En deux temps, vers 17 ans quand j’ai annoncé pour la première fois être amoureux… et d’un garçon. C’était peu après la sortie de Titanic, le premier film qu’on avait vu ensemble et c’était aussi le premier garçon qui m’invitait au cinéma. Bon, il faut dire qu’il m’avait aussi envoyé une carte postale de ses vacances d’hiver avec ses parents d’où il “pensait tendrement à moi”. Ma mère fouillait mon bureau et lisait mon courrier… On ne doit pas avoir de secrets dans une famille vietnamienne. Et une maman a toujours envie de tout savoir. Bon après, y a eu le coming out séropo, mais ça, c’est une autre histoire…

Plus jeune, j’avais des posters de Boyzone et de Take That qui entouraient Ophélie Winter sur les murs de ma chambre d’adolescent. En fait, je crois que j’avais déjà préparé le terrain et que je ne l’avais jamais vraiment caché. Ce qui m’amusait surtout, c’était de savoir qu’on savait mais qu’on n’osait pas me demander. On parle souvent à tort “d’avouer” son homosexualité. Je n’attendais qu’une chose de ma mère : qu’elle “avoue” sa curiosité et son indiscrétion à venir fureter dans mes affaires. Mère italienne, juive, africaine, vietnamienne ? Même combat.

Est-ce que tes proches l’ont bien pris ?

Mon oncle m’avait convoqué dans son bureau à Noël. C’est le doyen de la fratrie vietnamienne de ma mère et donc un peu le chef de la famille élargie. Il était médecin, c’était un peu le vieux sage qui “détenait la vérité”. Mon oncle m’a conseillé “d’aller voir un psy avant mes 18 ans, sinon ce serait trop tard”. Du coup, j’ai zappé les réunions de Noël jusqu’à ma majorité.

Comment grandit-on quand on est gay dans une famille d’origine asiatique ?

J’ai appris que survivre à un génocide et repartir de zéro laissait des traumatismes familiaux. On s’engueule souvent, mais on s’aime. Même si ma mère peut tenir des propos racistes et mon frère des réflexions homophobes. Déjà, les parents rêvent de nous voir épouser une vietnamienne pour transmettre la langue à nos enfants (sondage réalisé au lycée dans ma classe de vietnamien). L’avantage dans une famille bouddhiste, c’est qu’on ne te parle pas de l’enfer pour ça. Pour mon père, c’était une mode et c’était bien que je m’amuse.

Ma mère est passé de “y a 3,5 milliards de femmes sur Terre, tu finiras par trouver la bonne” à “l’important, c’est que tu trouves quelqu’un de bien, même un garçon comme ton cousin”. Mon grand frère m’avait confié (quand il m’avait perdu le 13 juillet sur les quais de la Tournelle alors qu’on faisait la tournée des bals de pompiers) avoir vu deux garçons s’embrasser et que c’était dégueulasse. Quant à ma petite sœur, elle m’a dit qu’elle m’aimerait toujours comme je suis, mais qu’elle aurait peut-être un peu de mal si je décidais de changer de sexe.

Tu as fait partie de l’association AZN. Le temps fort de l’association est le Nouvel An Chinois ? Comment ça se passe ?

Hors Covid, c’est la seule soirée asian et gay-friendly de l’année, avec des DJ, gogos, drags, pornstars tous asiatiques et leurs amis ! Dans un milieu où les “no black, no asian” affluent sur les applis, AZN, c’est super jeune, on vient pour boire et danser avec ses amis et rien que de faire le photocall de groupes de potes franco-asiatiques ou de voir des couples avec des asiatiques s’épanouir sur la piste de danse, c’est un vrai bonheur !

As-tu déjà été confronté au racisme anti-asiatique ?

Tous les jours. On te prend pour un touriste à Paris : on te parle en anglais et on essaie de te vendre n’importe quoi. L’inconvénient, c’est qu’on se fait agresser plus souvent aussi : il y a le fantasme du touriste chinois qui se balade avec plein d’espèces pour aller chez Vuitton ou du buraliste qui rentre chez lui avec son fond de caisse qu’il n’a pas eu le temps de déposer à la banque. Peu après mon agression (en août 2018 à l’ouverture des Gay Games), j’ai eu plein de messages de soutien et lu plein de témoignages : dans certaines bandes, agresser un Asiatique est un rite de passage. Dernièrement, ça s’est amplifié avec la crise sanitaire. Les “rentre chez toi avec ton virus” pleuvaient.

Penses-tu, sans faire de généralités, qu’il existe un racisme particulier envers les personnes d’origine asiatique dans la communauté gay française ?

Oui, je le pense. L’asiatique a toujours été un fantasme exotique, rappelant la domination coloniale : on le rêve mince, fin, avec un corps imberbe et des courbes féminines, soumis, sensuel et adepte des massages, sans oublier les fans de tourisme sexuel pour qui c’est aussi une marchandise. Aujourd’hui avec des pornstars comme Colton Reece, on peut aussi l’imaginer actif et bodybuildé, mais ce n’était pas le cas avant. En soirée avec des amis, ces clichés nous amusent et on se lance dans de l’autodérision chacun sur ses complexes.

Rarement, il m’arrive aussi de péter un plomb. Surtout quand c’est un type bourré qui m’agresse ou essaie de faire de l’humour. Ça permet alors de me lâcher et ça me fait du bien de ne pas me laisser faire ! C’est une des raisons pour lesquelles j’avais rejoint le Long Yang Club et l’Inter-LGBT en 2011, pour mettre en avant cette double-discrimination gay et asiatique dans le milieu et y faire évoluer les mentalités.

Après, il y a des cas plus mignons : comme le mec qui vient t’avouer que tu lui plais, mais qu’il est passif. Et où tu dois lui expliquer gentiment que tu n’as pas encore dit ce que tu aimais. Ce qui est flagrant en tous cas, pour avoir testé plus de 8 applis quand j’ai eu mon premier smartphone, c’est que j’y reçois très peu de messages. Alors que pour un ancien acteur de Cadinot, j’arrive encore à draguer dans les cruisings naturistes à mon âge.

Tu en veux encore ?