Le cinéma de Jacques Demy vient enchanter Netflix

Des marins décolorés qui dansent, des sœurs jumelles aux chapeaux colorés, des princesses qui font des cakes d’amour… mais aussi des filles-mères, des amours contrariées, des femmes nues sous leur manteau de fourrure, des incestes, la guerre d’Algérie… Dans le cinéma “en-chanté” de Jacques Demy, l’ambivalence est toujours de mise. L’allégresse cache, en surface, des parkings bien plus âpres où la véracité de l’âme humaine peine à étouffer sa noirceur. Car chez Demy, le bonheur n’est pas gai. Pour celui qui a été fortement marqué, enfant, par la Seconde Guerre Mondiale, la légèreté est le meilleur remède pour exorciser la gravité de l’existence. Les mélodies de Michel Legrand sont là comme une échappatoire. Il en est de même avec les relations amoureuses qui, à défaut de s’assumer complètement, se chargent d’une pointe de transgression. L’homosexualité y est d’ailleurs latente même si elle reste trop souvent dans le placard.

Ciné qui chante

Ces paradoxes du Demy-monde, vous allez pouvoir les découvrir dès aujourd’hui sur Netflix. La plateforme de streaming propose, en effet, neuf longs métrages du réalisateur nantais dans de sublimes versions restaurées en HD. Bien entendu, vous y retrouverez ses classiques, la trilogie musicale en tête : Les Parapluies de Cherbourg, premier film “en chanté” avec une Catherine Deneuve au sommet de sa beauté, Les Demoiselles de Rochefort, son œuvre la plus solaire comme “un jour d’été”, et enfin Peau d’Âne qui nous a tous donné envie de passer aux fourneaux pour notre futur Prince Charmant.

Un billet pour Nantes

Mais nous ne saurions que trop vous conseiller de prendre aussi un ticket pour Nantes afin de découvrir Lola, son premier film qui pose déjà les bases de son univers ou encore Une Chambre en ville, son œuvre la plus crue et la plus personnelle, opéra social composé par Michel Colombier où Danielle Darrieux excelle dans le rôle d’une baronne alcoolique. À moins que vous ne préfériez le soleil de La Baie des Anges pour vous laisser happer dans l’enfer du jeu avec une Jeanne Moreau blond platine en maîtresse-femme vénéneuse.

L’événement…

Et puis il y a ces deux curiosités totalement queer que sont L’Evènement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune et Parking. Dans le premier, tourné au début des années 1973, Demy imagine que Marcello Mastroianni tombe enceint(e)…. de Catherine Deneuve. L’acteur italien devient ainsi le troisième personnage transgenre de son cinéma, coincé entre le Monsieur Dame des Demoiselles et la Lady Oscar à venir. Même s’il n’est pas parfait, ce conte de fées urbain a plus d’un charme dans son sac, de part son postulat très avant-gardiste pour l’époque et aussi de part ses positions ultra-féministes et sa critique des médias.

Le second, Parking, est un film maudit. Victime d’aléas de production (Demy pensait à Bowie ou à Hallyday, il finit avec Francis Huster !), cette relecture d’Orphée en mode rock star est tellement bancale qu’elle en deviendrait presque culte. On pourra toujours se fendre la poire devant les piètres talents vocaux d’Huster ou les effets spéciaux kitschouilles qui habillent chaque apparition du fidèle Jean Marais.

Mais on pourra aussi voir le film comme l’une des rares tentatives de Demy d’exprimer ouvertement sur grand écran la confusion des sentiments. En effet, Orphée est partagé entre son amour pour Eurydice et pour son ingénieur du son. Et c’est au moment où il embrasse ce dernier qu’Eurydice meurt et s’achemine en enfer. Ironie de l’histoire : Parking a été tourné au moment où le couple Demy-Varda faisait une “pause”. Faut-il voir cette scène comme une métaphore de leur histoire ? Nous le saurons peut-être sur d’autres plages…