Nicolas Wanstok présente “TTBM”, sa compilation de BD érotiques gay

Nicolas Wanstok, libraire aux Mots à la Bouche, a coordonné “TTBM”, une anthologie de bédés érotiques gay aux éditions La Musardine. 220 pages, 13 histoires inédites, des styles très différents: il y en a (presque) pour tous les goûts. Pour Jock.life, Nicolas Wanstok, revient sur la genèse du livre, qui ,en cas de succès, sera peut-être appelé à avoir une suite.

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Comment est né le projet?

C’est une initiative de l’éditeur La Musardine, qui a déjà une collection de bédé érotique, intitulée Dynamite, et qui avait déjà commencé à travailler sur une anthologie. Ils visaient quelque chose d’un peu plus gros et plus exhaustif de bédé porno gay et ont fait appel à Jean-Paul Jennequin, grand spécialiste du sujet, organisateur du salon de la bédé LGBT et rédacteur en chef de la revue LGBTBD. Cela ne s’est pas fait, mais ils avaient gardé ça sous le coude, sachant que ce sont des spécialistes de l’érotisme et de la bédé érotique, mais jusqu’à présent plutôt hétéro. Ils cherchaient quelqu’un de spécialisé sur le côté gay du sujet et ils sont venus me chercher à la librairie. C’était en 2018.

Comment as-tu découvert la bédé érotique gay?

Avant la bédé érotique gay, j’ai d’abord découvert la bédé érotique hétéro, qui a été un gros flash, notamment avec un grand classique du genre qui s’appelle Les 110 pilules. Je l’avais trouvé dans la bibliothèque de mes cousins étant ado. Je me demande même si ce n’est pas l’un de mes premiers moyens d’accès à la pornographie tout court. Concernant la bédé gay, j’ai découvert celles de Ralf König grâce à mon premier petit copain. Ce n’est pas vraiment du porno, même s’il y a des scènes de temps en temps. Cet auteur est vraiment sur les trois critères à la fois : sociétal, humoristique et c’est quand même épicé de temps en temps. J’ai adoré ça tout de suite. Puis je suis tombé sur les dessins de Tom of Finland et ça m’a beaucoup plu aussi. Je pense que j’avais déjà une sensibilité pour le dessin.
Ensuite, en commençant à bosser à la librairie, je me suis familiarisé avec les dessins de Tagame notamment, grâce à H&O et ce que faisait Gmünder.

Comment ce style-là a-t-il évolué?

C’est Jean-Paul Jennequin qui m’a parlé le premier des fameux Tijuana Bibles. Il en avait des compilations en albums. Cela date des années 30. Ce sont vraiment des fan fictions, comme on voit aujourd’hui, qui détournent la vie des stars de cinéma et qui mettent en scène leur vie sexuelle. Dedans il y a une ou deux histoires homo-érotiques.

Ensuite, il y a quelque chose qui court tout au long de l’histoire du genre. La bédé porno en général a toujours dû faire face à la censure. Il n’y a pas énormément d’archives. Tu es obligé de passer par des collectionneurs et évidemment, avec la bédé érotique gay, c’est encore pire. Beaucoup de collections ont été éparpillées à la mort des collectionneurs parce que les familles n’assumaient pas du tout de trouver ça. C’est valable sans doute jusqu’aux années 80, jusqu’à une certaine normalisation de la vie gay, pour le dire vite. Il y a eu un gros boulot des américains dans les années 80-90 avec la revue Meatmen, qui a recopié des bédés, mais essentiellement américaines. Cela a été une grosse source d’inspiration.

Le premier vrai espace, c’est la revue Physique Pictorial, créée en 1951. [Son éditeur] Bob Mizer est parvenu à trouver la parade pour tromper la censure en proposant ça comme une revue culturiste. On y trouvait plein de photographes et quelques illustrateurs, dont Tom of Finland. La grande étape ça a été Stonewall en 1969. C’est vrai pour l’histoire gay, mais c’est vrai aussi pour la bédé. Parce qu’en réaction à Stonewall au début des années 70, tout un tas de revues communautaires gays sont créées. Elles vont faire de la place, petit à petit, aux illustrateurs.

Toute la vie gay commerciale émerge dans les années 80, la pornographie se met à circuler et ça ouvre des espaces aussi pour la bédé. C’est une sorte d’âge d’or qui commence à la fin des années 80 et au début des années 90. Il y a d’un coup plus d’argent, plein de revues qui se lancent. C’est vrai pour le Japon, c’est vrai pour l’Europe, et c’est vrai pour les Etats-Unis, qui sont les trois sources principales de ces publications.

Ce que montre TTBM, c’est que la bédé érotique/porno a investi toutes les esthétiques: manga, punk, etc.

Oui, ça s’est ouvert. Et c’est pour ça que je trouvais l’initiative de La Musardine intéressante. J’y avais déjà réfléchi avec Fabrissou, un copain qui gère le fanzine de bédé érotique gay Dokkun. On se disait que c’était fou le nombre de dessinateurs qui font de la bédé érotique gay dans le monde et qui présentent leur travail via Patreon par exemple ou via les réseaux sociaux. Il y en a énormément en Corée, au Japon en Espagne, ça fleurit de partout. Du coup il y a plein de styles et de sous-genres qui se créent. C’est ce que j’ai essayé de retranscrire dans TTBM, de montrer qu’il y a tous les univers: le comics de super-héros, la bédé indé, le punk, et avec tous les niveaux d’amateur à super pro.

Envisagez-vous de publier d’autres numéros?

On aimerait bien. On n’a abordé qu’un tout petit bout de la bédé érotique gay. Je termine ma préface sur ce paradoxe: Bruno Gmünder c’est fini, H&O en fait encore un tout petit peu mais beaucoup moins qu’avant, les magazines japonais dans lesquels publiait Tagame se sont arrêtés ces dernières années. C’est impressionnant. Il n’y a jamais eu autant de gens qui en dessinent et en publient en version numérique mais pratiquement pas de publication papier. Il y a énormément de travail éditorial et de traduction à faire, d’abord pour le patrimoine et ensuite pour s’intéresser à ce qui se passe en ce moment.

Pour toi, ces bédés ont-elles une dimension autre que fantasmagorique ?

Beaucoup de gens se sont mis à en dessiner — et c’était sans doute encore plus vrai avant internet — comme un auto-support masturbatoire. Ceux qui avaient un petit talent pour le faire se sont mis à dessiner des mecs qui leur plaisaient et des thèmes qui allaient avec. Pour toute une génération, leur premier public c’était eux-mêmes. Cela reste le cas pour l’écrasante majorité des dessinateurs. L’avantage de la bédé par rapport au film, c’est que c’est plus facile à faire chez soi, ça demande moins de matériel, et ça te permet d’explorer tes fantasmes en créant des créature hybrides, des monstres ou tu peux laisser libre cours aux tailles de bite à foison — d’où le titre TTBM. Et en réception, côté lecteurs, parfois tu découvres des trucs sur toi-même parce que tu tombes sur quelque chose qui t’excite à laquelle tu n’aurais pas pensé, un peu comme dans les films.

Vous pouvez le commander sur Les Mots à la Bouche ou en version numérique sur le site de la Musardine.

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