Silver : « Je m’éclate quand je dessine des gens queers heureux »
Installé dans le nord de la France, Silver est l’un des illustrateurs/dessinateurs queers les plus talentueux de sa génération. Il s’est fait connaître avec le “Projet 17 mai – 40 dessinateurs contre l’homophobie”. Il continue son bonhomme de chemin aujourd’hui en tentant de concilier dessin et engagement. Interview.
Comment as-tu décidé de devenir illustrateur/dessinateur de bd?
Je ne sais pas si c’est vraiment quelque chose que j’ai décidé. Je pense que j’ai toujours beaucoup dessiné, et puis un jour j’ai réalisé « Oh, merde, faut croire que c’est c’est ça que je fais de ma vie ». Enfin, c’est vrai pour l’illustration. Pour la BD c’est autre chose, vu que j’en fais beaucoup moins. La décision de devenir dessinateur de BD est plus quelque chose de dormant, que j’ai envie de concrétiser parce que j’aime raconter des histoires, et que la BD me semble être le seul médium qui me convienne pour ça.
As-tu des inspirations?
C’est toujours super dur à dire. Je sais pas si j’arrive à bien faire la différence entre les choses que j’aime et les choses qui m’inspirent. ça doit être la même chose, en vrai. Je crois honnêtement que c’est la vie, les gens, qui m’inspirent le plus, mais c’est chiant à crever comme réponse donc j’essaye de réfléchir aux artistes qui me donnent le plus envie de créer. Je lis peu de BD, mais quand j’en lis, celles qui me nourrissent le plus vont être de Tillie Walden, Alison Bechdel, Julie Maroh, Liv Strömquist ou de Jen Wang. Le cinéma et les séries me donnent énormément envie d’écrire et de dessiner, aussi, j’ai l’impression qu’une journée où je n’a pas regardé au moins un film va être une journée où j’ai l’impression d’avoir fonctionné sur batteries. Et en ce moment pour les recharger, je vais du côté des sœurs Wachowski, de M. Night Shyamalan, Céline Sciamma, Greta Gerwig, Brit Marling, Alex Garland et Denis Villeneuve.
Que préfères-tu dessiner ?
Des gens queers heureux. On a des siècles à rattraper en terme de représentations de queers, et encore plus en terme de représentations positives. Donc en général je m’éclate pas mal à dessiner ça. Sinon j’adore dessiner tout ce qui se rapproche au fantastique et à la fantasy. Le dessin parfait pour moi est un couple de lesbiennes qui reviennent de leur mariage à dos de dragon.
Tu t’étais engagé au sein du “Projet 17 mai – 40 dessinateurs contre l’homophobie”, il y a quelques années. Comment poursuis-tu cet engagement ?
Le Projet 17 Mai a été un énorme tournant dans ma vie. C’est mon plus gros projet de BD à ce jour, et en même temps ça m’a complètement éloigné de la bande dessinée pendant quelques années parce que ça a renforcé ma vie militante. Quand ça s’est calmé un peu avec le Projet 17 Mai et que j’ai arrêté de courir un peu partout en France pour le présenter et participer à des événements contre les LGBTphobies, je me suis rapproché du Planning Familial du Pas-de-Calais où j’y ai milité quelques années. C’était la suite logique, pour moi, du Projet 17 Mai, c’est-à-dire appliquer concrètement au quotidien tout ce que j’avais appris et défendu, et le faire en participant à une association féministe, d’éducation populaire, et intersectionnelle. J’ai dû m’en éloigner cette dernière année pour me recentrer sur le dessin – histoire de payer le loyer, ce genre de choses. J’ai appris au passage que le bénévolat était un terrible projet de vie quand on aime pas trop être à découvert – mais je reste en contact avec l’association en aidant quand je peux, que ce soit avec des dessins ou en tenant notre bar LGBT gratuit à Lens.
À terme, j’aimerais pouvoir concilier à nouveau mon travail et des gros projets militants, mais j’essaye d’apprendre à faire les choses en un temps à la fois et d’éviter de trop m’éparpiller. Mon prochain objectif sur le Projet 17 Mai est d’économiser un peu pour refaire le site – qui est mort à l’heure actuelle – et de rendre les deux tomes, en rupture de stock, disponibles en téléchargement libre.
Tu dessines régulièrement des personnages qui n’ont pas des corps normés. On a l’impression que vous n’êtes pas nombreux à le faire. C’est aussi ton avis?
J’essaye ! Parce que oui, c’est aussi mon avis. Quand on parle de la marginalisation de nos identités de genre ou de nos orientations sexuelles, on laisse souvent un angle mort sur la marginalisation de nos corps, quand ils sont considérés trop gros, trop maigres, pas assez blancs ou trop vieux. Et en tant que dessinateurs et dessinatrices, on a une responsabilité énorme de ce côté-là. Ce qui définit ce qui est beau ou sexy ne vient pas de nulle part, ce sont des normes construites et renforcées par les créateurs et créatrices d’images, donc ça me paraît normal que ce soit à nous de valoriser d’autres types de corps. J’ai encore beaucoup à apprendre, c’est une déconstruction et une construction constante de se poser la question de ce qu’on valorise quand on dessine ou qu’on ne photographie qu’un seul type de corps. C’est quelque chose sur lequel je veux vraiment travailler ces prochains mois dans mes travaux.
A l’approche du Festival d’Angoulême, les auteurs de BD tirent la sonnette d’alarme sur la précarité du métier. C’est un sentiment que tu partages ?
Totalement. Les auteurs et autrices sont en immense majorité sous le seuil de pauvreté et dans une dynamique complètement inégalitaire par rapport aux éditeurs. Ils se félicitent de la « bonne santé » du secteur et de leur grand chiffre d’affaire, alors que tous les jours des artistes qui contribuent à cette soi-disant bonne santé sont obligés de prendre des deuxième ou troisième jobs alimentaires pour pouvoir continuer à dessiner. De toute façon, il arrive la même chose aux auteurs que ce qui arrive au reste de la société, une profonde inégalité dans le partage des richesses qui profite à la classe supérieure. Si on veut que ça change, ce n’est pas que notre métier que nous devons changer, mais la société entière.
Silver a illustré récemment une série d’articles sur les séries LGBT pour Komitid.